mardi 13 décembre 2011

Le féminisme est un humanisme

Je trouve particulièrement difficile la question "Qu'est-ce que le féminisme ?" Je vais ici tenter d'y apporter une ébauche de réponse, et je suis prête à entendre la remarque sur l'absence de limpidité de ces propos. Sachez en tous cas que j'ai essayé, comme toujours, de formuler ma pensée au plus clair et au plus précis.

Si l'on essaie de définir le féminisme en quelques mots, on bute rapidement sur la multiplicité des discours et actions qui se sont réclamés de ce mouvement. La réponse "être convaincu qu'il est nécessaire d'améliorer la situation des femmes" ne me semble pas satisfaisante, ni même celle consistant à demander ou revendiquer que les femmes soient égales.
En effet, qu'est-ce qu'une meilleure situation ? Jusqu'à quel point l'action sera-t-elle nécessaire ? Et on veut que les femmes soient égales. J'exècre véritablement cette formule, pour son inanité logique et sa pauvreté lexicale, mais qui semble cependant imposer un certain consensus sur la scène publique. Je m'explique. Connaissez-vous la blague du corbeau ?
Q : Quelle est la différence entre un corbeau ?
R : Ses pattes sont toutes pareilles, surtout la gauche.

Et voilà le problème avec l'égalité des femmes. L'égalité se constitue nécessairement avec un autre élément. Le sujet ne peut pas être égal seul.

Cette dernière observation me conduit à remarquer quelque chose que je trouve fondamental et qui est souvent ignoré du discours public : l'égalité entre les genres n'est pas le problème des femmes. Je m'exprime mieux : l'égalité n'est pas le problème exclusif des femmes.
Plusieurs arguments sont en faveur de cette thèse.
1. Tout d'abord, d'un point de vue logique, un groupe ne peut être égal dans l'absolu. Il pourra à la limite être égalitaire, mais cela renverra alors à la situation de ses membres en son sein. Les femmes ne peuvent être égales de manière abstraite.
2. Ensuite, et c'est la conséquence de l'argument précédent, une réflexion sur le genre et la société ne saurait exclure des membres eux aussi genrés de la réflexion, et de l'éventuelle transformation sociale qui s'ensuivra.
3. Il n'est par ailleurs pas souhaitable que les questions de relations entre hommes et femmes deviennent l'apanage exclusif des femmes : encore une source d'inégalité entre hommes et femmes, puisqu'il serait en quelques sortes attendues de ces-dernières qu'elles prennent en charge cet aspect de la vie sociale. Je ne vois pas comment cela fera avancer les choses.

Je pense que ce qui m'a rendue féministe - ou m'a fait réaliser que je l'étais - est la situation répétée où on restreint la vie sociale de l'individu à un prétendu déterminisme biologique, où on confond le statistique et le vécu. Par exemple, oui, statistiquement les hommes ont de meilleures performances en sprint sur 100 mètres que les femmes ; mais cela ne veut pas dire que dans toutes les situations que je rencontrerai, où et un homme et une femme courront un 100 mètres, que le premier sera plus rapide. Cette situation relève du vécu, de l'expérience. En vivant avec les œillères du genre, on se prive de la possibilité de l'expérience et du vécu.

Pour moi, le féminisme est la posture nécessairement critique consistant à analyser les faits sociaux et individuels à l'aune du prisme du genre. Autrement dit, il s'agit de, consciemment, utiliser le genre comme un outil ou critère d'analyse.
Finalement, je ne trouve pas que le mot "féministe" soit le meilleur, étymologiquement. Je comprends son origine historique, dans une société où la propriété était quasi exclusivement accaparée par les hommes, et où les femmes faisaient peut-être plus partie du patrimoine que des propriétaires. J'avais coutume de dire qu'en d'autres temps, j'ose espérer que j'aurais embrassé la cause masculiniste, si c'était les hommes qui avaient été exclus du champ du pouvoir et de la légitimité sociale. Mais en attendant de trouver un autre terme, je pense qu'il est fondamental d'associer le féminisme à l'humanisme, à la critique qui se centre sur l'individu et qui, d'une manière que l'on pourrait qualifier de désespérée, croit en l'humain. Et par croire en l'humain, je veux dire croire en son infini capacité à porter son regard et son esprit critique sur lui ou elle, que ce soit en tant qu'individu ou en tant que société.
Je ne tolère pas que l'on empêche une personne de se réaliser, d'expérimenter, au prétexte de son genre.

samedi 3 décembre 2011

Éducation

Cette fois-ci, je me demande si l'objectif de l'éducation, que ce soit celle que l'on reçoit - ou que l'on nous propose -  de l'extérieur ou bien celle que l'on essaie de se donner à soi-même, n'est pas d'apprendre finalement que les ressources pour résoudre un problème sont en soi. Je veux dire qu'une éducation réussie nous permettra de comprendre que ces situations où je me sens impuissante à agir sur mon environnement et mon existence, ou bien triste, ou encore inutile, peuvent la plupart du temps se résoudre par la mise en oeuvre d'un retour en soi. Je cherche des ressources en moi-même pour changer cette situation qui ne me convient pas, plutôt que d'appeler les autres et le monde à mon secours. 
Il ne s'agit pas d'exclure l'extérieur de la réponse que j'essaie d'apporter, mais de comprendre intimement et primordialement que la recherche doit commencer par soi-même.
L'éducation devrait ainsi nous permettre de prendre pour acquis que toute réponse à une situation donnée doit être construite, et que ce processus de construction commence par et en moi. Par ailleurs, ce processus commence la plupart du temps par la décision de poser la question en nos propres termes - et cette dernière opération est nécessairement une quête personnelle et solitaire.

Je comprends ainsi ce que j'ai appris durant mes études et ma scolarité : on m'a confronté à des problèmes délimités de plus en plus complexes ; et ce que cela m'a apporté n'est pas la technique de résolution des problèmes, mais la compréhension et la conviction que je suis capable de résoudre des problèmes que je rencontre. Ensuite, j'ai été confronté à des problèmes peu ou pas délimités, et il m'a fallu comprendre que cette situation ne doit pas être source d'angoisse, puisque je suis celle qui doit alors présenter sa vision du problème avant de le résoudre. Nous apprenons ainsi à ne pas nous tourner systématiquement vers l'extérieur pour résoudre des situations qui ne nous conviennent pas ou modifier les choses. (Je ne suis pas ici en train d'idéaliser le système scolaire et universitaire dans lequel j'ai évolué, et il y a eu beaucoup de cours où l'objectif semblait purement technique et inintéressant. J'essaie plutôt d'expliquer ce que j'ai retiré de ces années d'études et comment je perçois ce qui est important dans ce processus.)

Parfois, je me dis que le système français aborde les choses sous un angle étrange : pour apprendre aux élèves qu'ils ont les ressources en eux-mêmes, on les gave de "connaissances" et d'outils. Il arrive souvent que les élèves se sentent soit tout-puissants et d'une insupportable suffisance soit faibles, car ils pensent qu'ils ne sont rien sans ce savoir dont l'apprentissage tient souvent de l’ânonnement.

Je me suis concentrée ici sur l'apprentissage intellectuel, mais je pense que mon propos s'applique également tout à fait aux sentiments. Une part de l'éducation consiste à s'apprendre que nous avons les ressources en nous-mêmes pour surmonter des tristesses, paresses, souffrances que les autres sont la plupart du temps impuissants à soulager.

Une dernière remarque sur ce que j'ai retiré de l'éducation que j'ai reçue : l'aspect manuel en était quasi absent, et en tous cas très peu valorisé. Aujourd'hui, confrontée à des questions d'ordre matériel, telles que des réparations ou des reprises, je me sens désemparée et ne comprends pas par quel bout aborder ce problème. Je pense bien que cet aspect-là des choses s'apprend également, et il suffit souvent que je persévère en refusant de me laisser décourager pour trouver une solution. Mais il s'agit d'un effort sur moi-même, et il me faut à chaque fois surmonter le réflexe qui me pousserait à aller demander de l'assistance à d'autres.

vendredi 11 novembre 2011

Liberté et Repos

Périclès : entre se reposer et être libre, il faut choisir.

J’aime beaucoup cette maxime, qui, pour une fois, ne nous dit pas que l’on peut tout avoir, qu’il y a une solution à nos peines et nos malheurs. Non, ici, pas de recette miracle, un choix seulement, et entre les deux alternatives, il n’est pas toujours, à première vue, évident de choisir. Se reposer, oui, mais être libre, aussi. 
J’aime aussi cette phrase car elle ne juge pas. Elle ne prétend pas faire autre chose que d’exposer les termes d’un choix. Et finalement, en choisissant parmi les deux termes, j’exerce ma liberté. Paradoxalement, je peux donc exercer librement mon choix de ne pas être libre.
Je comprends cette phrase comme un choix permanent. Si je choisis maintenant de me reposer, je pourrai toujours me relever les manches et travailler à ma liberté plus tard. Je choisis en permanence, et quelle que soit la branche de l’alternative que je choisisse, je n’y suis pas coincée.  Finalement, cette alternative me plaît car elle n’est pas, et ne peut pas être, définitive. Pour travailler, j’ai besoin de me reposer. Mais, réciproquement, pour pouvoir me reposer, j’ai besoin de m’être fatiguée, donc d’avoir travaillé. Repos toujours mérité, et travail qui m’emmène quelque part.
Liberté non pas comme une licence, mais très positive. On ne me promet pas un Eden où je pourrai rester allongée toute la journée, les doigts de pied en éventail. En bref, on ne me promet pas grand-chose, si ce n’est beaucoup d’espoir. Pour être libre, il y a beaucoup à faire. Je me lève au début de ma journée pour faire quelque chose, et mon champ d’action est à l’aune de ma liberté : infini.

vendredi 28 octobre 2011

Folie et pouvoir

On entend souvent que le pouvoir rend fou, et on parle de la "folie des grandeurs". L'idée communément admise est que l'humain, s'il se trouve en position de pouvoir sur les autres, adopte rapidement un comportement anormal, hors du commun. Comme le formule Montesquieu, "tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser". 

Toutefois, je me demande si l'on ne peut pas inverser cette proposition. Et si, dans de nombreux cas, la folie conduisait à rechercher le pouvoir ?
Par folie, j'entends ici, de manière large, la manière selon laquelle un individu perçoit le monde extérieur, et qui est assez éloignée de la réalité (le mot réalité pouvant bien sûr lui-même faire l'objet d'une discussion). Ainsi, au sens large, la folie pourrait être comprise comme l'isolation d'un individu dans sa façon de percevoir le monde.

Et si, bien souvent, une quête de pouvoir n'était que la réponse à un besoin de se convaincre que sa vision du monde n'est pas folie ? Imaginons le scénario suivant. Je vois le monde d'une certaine façon, notamment concernant les rapports que j'entretiens avec les gens que je rencontre et qui m'entourent. Mais j'ai la suspicion que je suis assez seule dans ma façon de voir les choses. Afin de me rassurer, je tente de faire partager cette perception. Et, pour cela, je sens que j'ai besoin d'avoir du pouvoir sur les autres, afin que, d'une part, ils n'aient d'autre choix que d'admettre ma vision comme vraie - peu important dans cette discussion que la vision soit effectivement réaliste ou non, et que, d'autre part, ma perception devienne en quelque sorte la réalité que les autres devront donc admettre. Par exemple, Hitler, torturé par son aryanisme et sa haine du judaïsme, a tenté de transformer la société pour la mettre en accord avec sa vision - vision qui n'était pas en accord avec la réalité sociale.

En d'autres termes, je me demande si l'on ne peut pas expliquer le lien entre folie et pouvoir par l'adjonction du facteur réalité. Ma folie me pose en décalage avec la réalité ; et ainsi s'initie le mouvement consistant à essayer de conformer la réalité à ma folie, mouvement pour lequel de plus en plus de pouvoir est requis.

J'ai conscience que mon propos n'est pas ici des plus clairs, mais il peut probablement se simplifier en la proposition suivante : le besoin de pouvoir est probablement nourri en grande partie par la folie, peut-être bien plus que le pouvoir n'alimente lui-même la folie. Et pour faire le lien entre folie et besoin de pouvoir, il faut introduire l'idée d'autrui. La quête de pouvoir comme on l'entend habituellement est celle du pouvoir sur autrui, ce pouvoir consistant à avoir les moyens - ne serait-ce qu'à l'état de possibilité - d'imposer à autrui sa vision du monde. Hors, si je suis folle, ma vision du monde n'est pas, par définition, largement partagée par autrui, et voire est difficilement partageable. Pour pouvoir la partager, je vais donc avoir besoin de l'imposer, et pour cela, il me faudra du pouvoir sur les autres. Et autrui étant par nature inappropriable, ma soif de pouvoir sera aussi inextinguible que ma folie.

Toutefois, si j'ai besoin qu'autrui se plie à ma réalité, c'est parce que le fait que cette réalité soit mienne ne me suffit à la rendre certaine ; j'ai besoin que les autres me renvoient l'assurance que je ne suis pas seule à voir les choses ainsi, en d'autres termes, que je ne suis pas folle.

mardi 25 octobre 2011

La beauté de Trois couleurs: Bleu, Blanc, Rouge

Krzysztof Kieslowski a réalisé en 1993-1994 une superbe trilogie cinématographique, tournée entre la France, la Pologne et la Suisse. 
Chacun des films est axé autour d'une couleur. Comme l'on peut s'y attendre, cette trilogie est centrée sur la France. Je ne vais pas ici me livrer à une critique détaillée de cette œuvre, car d'autres l'ont déjà fait, et ce de manière à la fois très technique et très perspicace (par exemple, voir: http://archive.filmdeculte.com/culte/culte.php?id=123).
Adoptant délibérément un point de vue subjectif et personnel, je veux expliquer ici pourquoi ce film m'a plu, voire m'a enchantée. 
Je pense que cela tient beaucoup à la vision du monde et de la vie qu'il propose. En effet, chacun des films a un lien avec les autres, mais un lien fort ténu: on devine que les personnages se croisent autour et au sein du TGI de Paris, par exemple, et une tête que l'on a juste aperçue dans une porte entrebâillée devient un personnage dans un autre film. Il faut bien sûr mentionner que, à la fin, la plupart des protagonistes se retrouvent, mais sans pour autant que le spectateur soit certain qu'ils se soient rencontrés. Des thèmes s'entremêlent, tels que ceux de la justice, de la passion, de la solitude et de l'abandon, ou encore de la musique et de la création. Ce qui m'a saisie dans ces rappels, c'est à la fois leur évidence et leur caractère ténu. Il s'en fallait de peu pour ne pas les voir...et pourtant, dès que l'on commence à y penser, ils semblent crever l'écran. 
Tous les personnages, même secondaires, ont une personnalité définie. Et cela n'est pas toujours utile au fil narratif. D'ailleurs, ils semblent également que tous les rappels et les liens que j'ai évoqués, ne soient pas, eux non plus, toujours utiles, en tant que tels, à l'histoire et au déroulement du film. Mais c'est, à mon avis, ce qui fait la beauté de cette trilogie et qui la rend saisissante. Comme la vie, elle est faite de fils, et on ne sais pas immédiatement lequel de ces fils deviendra conducteur, et lesquels s’achèveront, de notre point de vue en tous cas, en effilochage. 
Accorder une telle importance aux passants et aux intervenants secondaires à l'histoire principale dénote, je trouve, un respect profond pour la vie et ses possibilités infinies, et pour l'humain et ses potentialités insoupçonnées. De cette façon, Kieslowski nous introduit dans son univers, fait de comique du quotidien - un comique souvent désabusé mais si tangible.
Fondamentalement, comme dans un bon roman, j'aime que les films mettent autant d'énergie à nous promener dans leur univers qu'à nous raconter réellement une histoire.

D'ailleurs, sur ce dernier point, une remarque sur la fonction du récit. Nous avons besoin de récits pour vivre, qu'elle que soit la forme et qu'elle qu'en soit la provenance et le medium. Nous avons besoin que l'on nous raconte des histoires, notamment dans la mesure où les histoires nourrissent notre réflexion ainsi que notre vision de notre propre vie. Le mythe, en étant une forme particulière de récit, symbolise tous les éléments qu'il utilise. Par exemple, dans l'histoire d'Orphée, tout est utile, et tout peut être commenté. Tout peut donner à réfléchir : l'instrument dont Orphée joue, la descente aux enfers, la tête à la fin. Mais dans la plupart des récits, il n'en est pas ainsi - et l'on ne peut vivre que de mythes, nous avons besoin d'histoires qui ont, en quelques sortes, moins de sens et de significations. C'est épuisant un mythe, car c'est lourd de sens. Au contraire, la plupart des récits que nous rencontrons, sont pleins de détails, et d'embryons d'histoires parallèles. Cette structure nous permet de laisser aller notre imagination, ainsi que de prendre conscience que notre propre histoire individuelle est insérée dans un réseau tissé et serré d'autres histoires. Le détail, en apparence futile, nous autorise à rêver, tout en saisissant mieux le contexte du fil narratif principal de l'histoire que l'on nous raconte.

lundi 17 octobre 2011

Plurilinguisme

L'unilinguisme n'est pas une chose normale. Il me semble que, constamment, l'histoire de l'humanité a été faite de mouvements de populations et de personnes. Et le fait que des gens d'origines différentes se retrouvent au même endroit, et que, inévitablement, ces gens aient besoin d'organiser leur vie quotidienne (en termes de besoins primaires, mais aussi d'interactions sociales), conduit à ce qu'un groupe humain géographique parle et s'exprime dans plusieurs langues à la fois.
J'aime beaucoup parler une langue qui n'est pas ma langue maternelle, et je me sens très à l'aise dans un milieu où plusieurs langues sont parlées, et où moi-même j'emploie toutes mes ressources linguistiques pour me faire comprendre et comprendre les autres. Je pense que cela tient beaucoup à ce que je trouve normal de me trouver dans un groupe aux origines diverses, aux langues différentes. Il me semble que, au contraire, les groupes humains qui ont voulu se définir par la pureté de leurs origines et par leur unicité linguistique absolue ne sont pas proche de la vérité de l'histoire humaine, laquelle est propulsée par un besoin fondamental d'exogamie, ce qui conduit à ce que chaque être soit en fait un carrefour complexes d'histoires et d'origines. Personne ne vient absolument d'un endroit, personne n'a pour origine qu'un groupe restreint bien défini, personne ne se forme et grandit dans une seule langue (ne serait-ce que du fait que chaque langue est emplie d'influences et d'échanges avec d'autres langues).

mardi 4 octobre 2011

Retour sur l'ambition

Et si l'ambition était un sentiment très utile lorsque l'on se trouve dans une situation qui ne nous convient pas et dont il n'y a peu ou pas d'espoir ou de possibilité de se sortir à court terme ? Autrement dit, et si l'ambition était une réponse à un manque de perspectives immédiates et valorisantes ?
Faudrait-il alors renoncer à son ambition démesurée une fois que les choses s'arrangent ? Le pourrions-nous ?

dimanche 2 octobre 2011

Discussion avec un avocat

- Ah, tu ne penses pas être avocate ?

- Non, j'envisage plutôt de passer le concours de la magistrature.

- Tu sais que tu pars avec un gros désavantage ?

-Ah bon ? euh, non, je ne vois pas trop. Lequel ?

-Tu es une femme !

- Et ?

- Comme il n'y a pas beaucoup d'hommes qui se présentent, ils sont avantagés, forcément !


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Ce bref échange m'évoque ensuite plusieurs remarques, une fois passé l'agacement que l'on puisse impunément et sans l'ombre d'un scrupule me balancer ce genre de propos, avec en plus une certaine bienveillance affichée. Tout d'abord, cela m'agace que cela m'agace : j'aimerais m'en moquer, et me dire qu'il est juste un niais. Mais le fait est que ça m'énerve, et me prend un peu de mon énergie  - sur le moment bien sûr ; maintenant que j'écris ces lignes, j'ai fait passer cette remarque à pertes et profits, et me suis dit que je vaux bien mieux que ces catégorisation catégoriques, et ces mécanismes de pensées (si toutefois on peut nommer ainsi cette réaction) automatiques et étroits.
Ma première remarque est que ce sexisme ordinaire et de bon aloi est bien fatigant à la longue : une petite remarque qui se prétend humoristique par ci, un peu de violence symbolique et décourageante par là, et on un début d'explication de pourquoi les femmes trouvent régulièrement difficile de se faire leur chemin et leur carrière l'esprit en paix avec leurs projets, et un début d'explication de pourquoi le féminisme.Il faut trop souvent ce petit surcroît d'énergie pour surmonter encore un obstacle symbolique, et encore un autre, puis encore un autre, et un autre, etc. Et parfois, comme tout être humain, on en manque d'énergie. Mais cette fois-ci, j'avais opposé à ce propos inepte une répartie que je vous réserve pour la fin de ce post. Et tout en ayant eu cette énergie cette fois, je déplore qu'il faille autant en faire preuve de façon récurrente.
Ma seconde remarque est que je trouve blessant et honteux que notre société accepte ce genre de petites "blagues", auxquelles on ne peut pas répondre grand chose. Quelque part, je dis "oui" au politiquement correct si cela signifie qu'il n'est pas admissible de diminuer - même avec l'intention et l'impression d'être drôle pour l'auteur de ladite "blague" - son interlocuteur en se fondant plus particulièrement sur des caractéristiques innées et, de plus, non pertinentes dans le sujet de discussion.
Ma troisième remarque concerne cette prétendue évaluation au mérite en France. Alors, on m'évalue selon mon mérite ou bien selon des logiques déterministes, archaïques et décourageantes ?
Enfin, ma quatrième remarque est peut-être que cet homme a simplement voulu me tester, et voir comment je réagissais dans une situation un peu inhabituelle et désagréable (mais cette remarque n'annule ni ne remplace certainement pas les précédentes).

Finalement, passé ce profond agacement, je suis allée consulter les statistiques de réussite au premier concours de la magistrature (promo 2010-2011), et je vous les livre ici:

84,93% des présents à l'écrit sont des femmes, et donc 15,07% sont des hommes
83,23% des admissibles sont des femmes, et 16,77% sont des hommes
finalement, 80,46% des admis à ce concours sont des femmes, et 19,54% sont des hommes

Autrement dit, tandis qu'approximativement 10,6% (17 sur 160) des hommes qui se sont présentés sont entrés à l'école de la magistrature, approximativement 7,8% (70 sur 902) des femmes qui se sont présentées sont entrées.

Certes, il faut constater un léger écart statistique, mais:
- il faudrait vérifier s'il se vérifie sur plusieurs promotions
- il faudrait prendre en compte différentes variables et les croiser avec celles du genre: quel est le profil socio-professionnel des étudiants qui se sont présentés et de ceux qui ont été finalement admis, et ce profil est-il uniformément réparti en fonction du genre ? comment les étudiants ont-il préparé le concours (prépa publique, prépa privée, entraînement en groupe, seul, autre ?) et ces manières de faire sont-elles uniformément réparties en fonction du genre ?

Il ne me semble ainsi pas que ces seules statistiques soient très probantes et démontrent que les chances de réussite d'un homme qui se présente à un concours soient significativement plus élevées que celles d'une femme qui se présente à ce concours. En se focalisant sur les différences entre les genres, on finit en fait par les fantasmer et par exacerber la représentation que l'on s'en fait. Tant que l'on ne croise pas le genre avec d'autres variables - qui pourraient très bien se révéler plus pertinentes, dans la mesure où l'écart de réussite constaté pour cette promotion est très faible - on ne peut affirmer de manière certaine que ce soit le facteur le plus déterminant.

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Fin du dialogue :

- Bon, en même temps, on nous dit qu'il est difficile pour une femme de réussir dans les milieux masculins, puisque justement il n'y a pas de femmes. Alors, il faut bien aller quelque part de toutes façons, non ?

- Euh (légèrement embarrassé et un peu surpris)...oui mais là, les hommes se protègent entre eux.

J'ai alors jeté un regard entendu à l'avocat, l'invitant à tirer les conclusions de ses propres propos...pourquoi les femmes dans la magistrature ne protégeraient-elles pas alors les femmes ? C'est quoi cette vision pourrie qu'il me propose du monde en prétendant m'encourager ?

samedi 17 septembre 2011

Virginia Woolf, merci.

On dirait que Virginia Woolf nous entraîne à chaque fois dans les coulisses du monde, des émotions et des actes. Son style, incisif et évocateur, fait vivre pour nous des situations qui semblent si vraies. Nous nous intéressons à des personnages qui ne sont jamais fondamentalement mauvais, et pourtant, qui se retrouvent dans des relations avec d'autres qui sont si difficiles, et souvent créatrices de souffrance. J'apprécie cette proposition de vision des humains, et la trouve beaucoup plus enrichissante - voire source de sérénité - que celle, manichéenne, consistant à s'identifier à des personnages toujours bons, et qui ont à lutter contre des méchants dont il est évident qu'ils n'ont même pas de tentation de bonté et d'altruisme. Ces méchants sont animés par le désir de nuire, et éventuellement, au mieux, de jouir de la vie d'une façon qui nous est incompréhensible.

Woolf, au contraire, nous dévoile un monde d'êtres tiraillés entre leurs désirs de profiter de l'instant, leur vanité, et leur conscience de l'autre. Ces êtres ne savent souvent pas où est le juste, mais tentent au mieux de s'y accrocher (je pense notamment au trio captivant de Night and Day, Katharine, Ralph et Rodney). Pour ces êtres, des détails peuvent devenir des coups d'éclats, et le visible peut atteindre le niveau de l'insignifiance, tant sont primordiaux les désirs d'âme et de corps qui les agitent. Et le magnifique, l'éclatant, survient quand ces mouvements de chacun des êtres semblent rencontrer des mouvements émis par d'autres.

La rencontre chez Woolf n'est jamais totale, et même ses personnages qui se veulent les plus purs, les plus simples, les plus univoques, ne parviennent finalement qu'à se rencontrer sur certains aspects, sur certains moments. J'admire cette incroyable virtuosité que cette auteur démontre dans la compréhension de l'humain et des rapports que l'être entretient avec les autres êtres. Ma seule vérité est mon être, et je ne peux que percevoir, que deviner, la vérité ontologique de l'autre. Woolf parvient à simultanément mettre en présence des êtres différents et complexes, comme si elles parvenaient à s'incarner dans chacun. 

Je n'ai jamais rencontré de livre qui ne sut mieux que ceux de Woolf camper des personnages à la fois si différents et si riches. Par exemple, les romans de Paul Auster ont beau être écrits de main de maître et me captiver complétement, en me laissant haletante au moment de les refermer, je ne peux me départir de l'impression que tous ses personnages sont semblables. Ils semblent mus par les mêmes genre de passion, et réagissent selon des grilles d'analyse - parfois sans sens, il est vrai - qui sont toujours très voisines, pour ne pas dire identiques.

dimanche 21 août 2011

Pourquoi Gossip Girl me fait rêver

Regarder la série Gossip Girl a tendance à me faire rêver, à me transporter dans un ailleurs que je sais irréel. J'anticipe parfois avec beaucoup de plaisir le temps que je passerai à regarder le prochain épisode, et l'état mi-rêveur mi-les-pieds-un-peu-plus-sur-terre-qu'avant dans lequel je me retrouve généralement après.
Et je me suis demandé d'où me venait cette sorte de fascination pour une histoire filmée. C'est certain, cette série ne prétend pas au réalisme. En effet, même si elle annonce s'ancrer dans une certaine réalité, il est évident que, à supposer que cet ancrage existe ne serait-ce que de façon minime, il ne correspond en rien à la vie de l'audience de Gossip Girl. Et bien que cela puisse être critiqué (voir en ce sens l'article de Mona Chollet: "Gossip Girl, célébration des élites américaines", http://www.monde-diplomatique.fr/2010/08/CHOLLET/19560), je pense que cela est fortement lié à ce qui fait que j'aime regarder cette série.
L'histoire est celle de jeunes gens, grands adolescents, qui font partie de la société new-yorkaise présentée comme l'élite de Manhattan, mais qui recouvre surtout un milieu où l'argent coule à flots et où les journaux s'intéressent à la vie de nos personnages dont la vie est intimement liée à celle des affaires, du show business et de la politique. Le principe de la série est qu'il y a cette mystérieuse Gossip Girl ("fille à potins") qui s'intéresse à la vie de ces jeunes gens, et publie sur son site internet des nouvelles croustillantes les concernant.
Cette série me plaît de la même façon que les contes de fées marquent notre imagination. Le conte de fées n'est pas non plus porteur d'un message d'égalité ou de tolérance. Les valeurs et les encouragements que l'on y trouve ne sont pas franchement dans le sens d'une éthique philosophiquement saine et fondée. Tous les lecteurs et auditeurs de conte de fées s'identifient à l'un ou plusieurs des membres de la famille royale - et parmi ces auditeurs et lecteurs, combien sont en réalité membres de famille royale ?
Le ressort de Gossip Girl ou du conte de fées est qu'il nous permet de nous identifier à un personnage qui a une sorte de destinée, un poids à porter et à accepter afin de se réaliser et de construire son identité de façon satisfaisante. Et, finalement, nous portons tous, chacun et chacune d'entre nous, un poids qui est celui que notre éducation, notre milieu, notre hérédité - en d'autres mots notre socialisation primaire - nous impose. Et trouver une façon d'être soi-même au-delà de ce poids initial est un questionnement, une quête que nous avons tous à résoudre, d'une façon ou d'une autre. Cela peut être en embrassant le donné, et en l'admettant comme irréductible et inéluctable. Cela peut aussi être en tentant de s'y soustraire, de se réinventer ailleurs et autrement.
Gossip Girl offre une trame que l'on peut comprendre à différents niveaux de conscience. L'un d'eux est celui de voir le récit offert par cette histoire comme le récit de personnes qui se construisent comme de jeunes adultes, et qui tentent de s'accommoder de ce milieu exigeant et envahissant. En voulant le contrôler (Blair, Chuck), en se comportant comme s'il n'était pas tant un poids et plutôt un donné dont on ne peut sortir (Serena), en essayant de trouver une distance vis-à-vis de celui-ci, tout en ayant conscience qu'il n'est que relatif (Rufus, Dan).
Et oui, leurs soucis semblent souvent triviaux et il est peu probable que je les rencontre exactement (type: ma belle-mère tentent de vendre les parts de la compagnie de mon père sans me le dire afin de sauver l'honneur de la famille, ou bien j'ai un cruel dilemme entre lâcher les études pour aller directement travailler dans la mode ou alors finir le lycée avant, ou encore: puis-je réellement être amoureuse de mon frère par alliance). Cependant, ils font écho en moi parce qu'ils s'adressent à des émotions que je ressens, à des questions que je me pose: vaut-il mieux suivre son chemin même si les autres désapprouvent ? puis-je faire totalement confiance à ceux qui sont près de moi ? comment m'arranger de ce que je ressens quand cela a l'air criticable au regard des normes sociales et morales ?
Je pense que, souvent, aujourd'hui, nous manquons de mythes pour nous soutenir dans notre avancée dans la vie, et pour nous dire que nous ne sommes ni les seuls ni les premiers à se demander ce qu'être humain signifie. Je ne dis pas que Gossip Girl atteindra le statut de mythe, mais je soutiens que cette série, et beaucoup d'autres produits culturels, s'adressent à cette part en nous qui a besoin de récit pour nous permettre de composer avec notre propre existence. Peu importe que ces récits soient réalistes ou non, peu importe qu'ils nous viennent du fond des âges où qu'ils soient le fruit d'une écriture consciente, peu importe que nous les lisions, regardions ou écoutions, nous avons besoin d'histoires, nous avons besoin de nous faire raconter des aventures qui font du sens tout en n'étant pas circonscrites sur elles-même. Ainsi, chaque mythe d'une mythologie donné à des liens avec de nombreux autres mythes, et les épisodes d'une série, s'ils ont une histoire contenue en chacun, font du sens mis bout à bout.

lundi 4 juillet 2011

Question de culture

Revenant de Montréal, pour retrouver mes amis autour d'un verre d'anniversaire à Paris, je créé un "événement facebook". Ce geste fou est parti d'un constat multiple:
1. je ne sais plus où j'ai mis les adresses courriels de tout le monde
2. à Montréal, j'ai découvert que ça marchait bien.

Mais, surprise (qui ne devrait pas en être une quand on a déjà vécu à Paris), à Paris, ça ne marche pas. Et j'ai réalisé mon erreur.

A Paris, ai-je supputé, les amis et connaissances ne se satisfont pas d'une invitation générale, qu'il faut qu'ils aillent rechercher eux-mêmes dans les dédales de fb.
Mais surtout, plus pertinent et plus juste aussi, je crois: les Parisiens - même d'adoption (est-ce alors un trait de Français, ou d'Européens?) - ne peuvent se reconnaître dans les trois catégories proposées par fb, catégories, qui, bien que parfaitement rationnelles n'en sont pas moins trop simplistes.
A Montréal, l'Américain ou l'Américaine du Nord - même d'adoption -, répond, au choix,qu'elle ou il viendra, ou ne viendra pas, ou viendra peut-être. Le Parisien et la Parisienne ont une palette beaucoup plus large et pleine de nuances, souvent à leur insu d'ailleurs.

En voici des exemples:
- je passerai avec Bidul (le copain) ou Bidule (la copine)
- j'appelle si je ne sors pas trop tard du taf/du dîner chez mes parents/de ma discussion profonde avec cette personne que je n'ai pas vue depuis longtemps mais qui m'est importante/de mon stage non rémunéré/de mon verre précédent
-j'essaie de faire un saut sur le chemin de chez moi
-je passe après le concert trop cool des trucs machins
-j'enregistre qu'il y a quelque chose, mais je ne peux pas prévoir, je suis trop surbookée/surbooké en ce moment
-il y a une vente privée qui commence 1h avant, je ne sais paaaaaaaas!
- on va au cinoche avant avec truc et truque, ça te dérange si je les amène aussi?
-j'ai peur que les transports me fatiguent trop, je verrai comment je me sens
-ah, il faut répondre? vraiment?
- je suis à Madrid, Lisbonne, New-York, Amsterdam, Athènes, Prague, Grenoble, Fontainebleau, etc. Je rentre dans la semaine, mais je ne suis pas sûre de quand. Si je suis rentré(e), je passe, c'est sûr.
- Je déménage ce jour-là. Je vais voir.
- J'assiste à une avant-première avec ma marraine à la Comédie Française/à une conférence rue d'Ulm, à la Sorbonne, à Sciences Po, à l'EHESS, à Cachan. Je te dis.
- Je ne resterai pas trop tard, mais je passerai.
- Je crois que j'ai une intoxication alimentaire. On se retrouve demain?
- je viens de réaliser que je suis complétement fauché, et j'essaie de ne pas dépenser jusqu'à ce que cela s'arrange. On se voit pour aller se balader un peu plus tard dans la semaine ?

Voilà, quelques exemples courants qui font que, à Paris, les amis ne peuvent pas se reconnaître dans un des trois choix de facebook, qui a beau se vouloir très consensuel, reste malgré tout culturellement incontestablement adapté à un raisonnement et une façon de voir la vie assez anglo-saxons.

vendredi 1 juillet 2011

Partir...et Revenir

Contrairement aux a prioris que l'on aurait, je pense qu'être loin de chez soi est souvent plus facile que d'être de retour. Quand on est loin, d'une certaine façon, la pensée que l'on vient d'ailleurs nous permet d'avoir un peu de nostalgie pour cet ailleurs. Cette nostalgie nous est douce, et nous renvoie de façon très légitime et facilement acceptable par nous-mêmes au monde dont l'on s'est éloigné, et vers ceux que l'on a laissés.
Mais quand on revient, c'est une autre histoire. On retrouve ce monde, on est réengloutie dedans. Il est plus difficile de garder un pied dehors, de conserver une certaine distance face aux événements qui nous affectent.
Lorsque l'on est loin de chez soi, on peut toujours se bercer que l'on vient d'ailleurs, et que là-bas, on y a des amis, de la famille, des possibilités. On connaît cet endroit, on en a compris les rouages et les mécanismes, et cela nous permet d'extrapoler et d'avoir une idée assez précise (je ne dis pas ici juste ou vraie) de ce que nous pourrions être en train de faire si nous étions restés.
Mais quand vient le moment où l'on rentre chez soi, c'est une autre histoire: il ne s'agit plus de possibles mais de réalités. Et le monde que l'on a laissé afin de revenir ne nous permet pas la douce rêverie que l'on voudrait symétrique à la première évoquée. On ne connaît pas assez le monde que l'on a laissé pour pouvoir réalistement se bercer de ce que nous serions en train d'y faire. Là-bas, tout ou presque était expérience, nouveauté. Il fallait être en alerte pour avancer et s'en sortir dans cette société où les repères n'étaient pas les nôtres instinctivement. On avait toujours l'excuse envers soi-même - ou l’apaisement - de savoir que l'on vient d'ailleurs lorsque tout ne marchait pas comme prévu ou que l'on se prenait des portes dans le nez.
Par ailleurs, loin de chez soi, on se lie à d'autres personnes qui sont loin de chez elles, et on rencontre le monde entier. On s'habitue à un mélange culturel et linguistique, on apprend à communiquer avec des références différentes. On rencontre aussi les gens de là, et on accueilli en tant que voyageur, en tant que personne loin de chez elle. Quand on revient, on attend de nous que nous nous refondions dans l'existence sans plus de remous: nous la connaissons la vie ici, nos proches sont autour de nous!
En plus de tout ça, on s'était si souvent tellement préparés à partir, on y avait pensé. Mais revenir, alors là, pas du tout! J'ai l'impression que l'avis unanime des gens qui ont vécu des expériences de ce genre est que le retour est quelque chose qui est arrivé, mais sur lequel on n'avait pas médité. Il était évident que nous reviendrions un jour. Et c'est aussi pour cela que le retour est dur: nous sommes difficilement prêts à accepter qu'il est difficile et souvent malaisé.

vendredi 10 juin 2011

Pourquoi Ouragan est mauvais

Je viens de finir de lire Ouragan, de Laurent Gaudé. Pourquoi le premier mot qui me vient à l'esprit est "mauvais", et le second "inintéressant" ?
Je suis d'autant plus déçue que La Mort du Roi Tsongor, par le même auteur, figure parmi mes livres préférés, et m'a touchée.

Probablement parce que ce livre est bâti sur une pile de clichés, et ne parvient pas à se départir d'une approche douloureusement conventionnelle. Les femmes passent leur temps à se sentir femmes, les noirs à réfléchir sur le fait qu'ils sont noirs, et les prisonniers se dévaluent et se haïssent en tant que tels en permanence. Et cela est gênant pour au moins deux raisons.
Premièrement, je trouve que cela est mal fait. Ces pensées ne sont pas crédibles, et sonnent faux. De tels personnages sont superficiels, uniquement occupés à se voir comme l'homme blanc les verrait, se rejetant eux-mêmes dans leur différence, dans cet "autre" qu'un système de domination ne manque pas de construire. Cette internalisation fantasmée des clichés des dominants est violente, et présente peu d'intérêt littéraire, en particulier dans la mesure où elle semble complétement involontaire et inconsciente. Seuls les hommes blancs n'ont jamais une pensée pour le fait qu'ils sont hommes et blancs.
Deuxièmement, ce livre, sous prétence de réalisme, refuse toute dimension émancipatrice à l'exercice d'imagination et de création littéraire. Manque cruel et désolant d'imagination.

jeudi 2 juin 2011

Liberté sexuelle

 

Réflexion sur l'affaire DSK: Je trouve important en tous cas, quels que soient les faits exacts et l'étendue de sa responsabilité, de souligner que son comportement, et plus généralement ceux d'agressions sexuelles (au sens large), ne relèvent pas de la liberté sexuelle. Le comportement sexuel d'un individu qui dénie à ses partenaires potentiels, envisagés ou réels l'expression de leur liberté sexuelle ne relève pas de la liberté sexuelle. La liberté sexuelle est quelque chose qui se vit à deux (ou plus, pourquoi pas).

Plus généralement: D'ailleurs, je me dis que c'est aussi une des critiques solides que l'on peut adresser à la vision selon laquelle la prostitution, ou au moins son acceptation comme un fait social normal, relève de le liberté sexuelle. Non, elle ne relève pas de la liberté, puisqu'elle ne concerne en réalité que la liberté de l'un des deux acteurs engagés dans la relation sexuelle. Et vivre dans une société qui admet que la prostitution est un lieu d'expression de la sexualité n'est pas vivre dans une société où la sexualité est libre, mais bien où on présente comme normal que la sexualité des dominants (en fonction du genre, mais aussi économiquement) s'exprime au détriment et sans considération de la liberté sexuelle de ceux qui ont moins de pouvoir.

lundi 30 mai 2011

Ambition

L'ambition est un sentiment complexe, et celui qui la ressent n'est pas toujours à même de mettre les mots dessus.
Je comprends l'ambition comme cette force intérieure de l'âme qui nous pousse à nous dépasser en permanence. L'ambitieux n'est jamais satisfait, et aura toujours l'impression de pouvoir aller plus loin, d'être capable d'en faire encore plus. Cependant, l'ambition se distingue du perfectionnisme par la demande de reconnaissance extérieure qu'elle réclame. Tandis que le perfectionniste n'est jamais satisfait non plus, et veut toujours atteindre le meilleur dans un travail donné, l'ambitieux ne saurait se limiter à une tâche, et réclame la reconnaissance ou l'admiration des autres. D'ailleurs, l'ambitieux accordera de la valeur et recherchera les compliments des meilleurs, des "gens qui comptent". L'ambitieux, dans la mesure où il cherche à s'élever au-dessus de lui-même et au-dessus des autres, recherche d'autres ambitieux, qui, comprenant sa folie, pourront le reconnaître de manière adéquate. Fondamentalement, l'ambition est un sentiment lié à la vie en société. Elle est une force, une aspiration particulière qui ne peut se réduire à un simple désir. Par exemple, si je désire manger du chocolat, je serai satisfaite en mangeant du chocolat ; je n'aurai pas besoin pour atteindre cette satisfaction qu'autrui reconnaisse que je mange du chocolat. L'ambitieux a, semble-t-il, une relation complexe aux objets de son désir: il ne les désire pas en soi, mais pour soi. Il les désire non en tant que fin en eux-même, mais en tant qu'instruments qui lui permettront de de briller d'une manière ou d'une autre aux yeux de la société.

L'ambition, si elle doit être réalisée, est toutefois indissociable du goût de l'effort. Elle ne reconnaît la réussite que dans la mesure où elle semble méritée, que dans la mesure où elle peut sonner comme une approbation de l'être de l'ambitieux. En effet, il est dans la définition même de l'ambition que de vouloir forcer la nature, que de tout mettre en œuvre pour remettre en cause le donné, ce qui est. L'ambitieux ne peut purement et simplement accepter la place que la société lui concède sans combat, de même qu'il ne peut accepter les limitations de son être.

Par beaucoup d'aspects, l'ambition peut être perçue comme une force négative. Il s'agit de tout mettre en œuvre afin de se différencier, afin de laisser sa trace, et cette quête est infinie. Elle peut consumer celui qui l'entreprend, et blesser l'entourage de celui-ci. En effet, l'ambition conduira souvent l'ambitieux à préférer le projet auquel il se consacre à une quête - plus équilibrée - de bonheur, de paix. Elisabeth Badinter souligne cet aspect de l'ambition en relation à Voltaire et Mme du Châtelet dans le chapitre VII de son livre remarquable, Emilie, Emilie ou l'ambition féminine au XVIII° siècle.
Dans cette veine, je pense qu'il y a communément des situations ou l'ambition est un sentiment qui se substitue à celui d'amour - amour dans le sens de don de soi et d'acceptation de l'autre, d'ouverture à la relation.

Cependant, il me semble que l'ambition, dans la mesure où elle est un désir, porte aussi en elle une puissance vitale, une énergie qui poussera l'ambitieux à se relever, à ne pas s'avouer vaincu face aux aléas parfois contrariants de la vie. Elle ressemble à un moteur qui fait carburer celui qui la ressent, et le pousse à se dépasser.

Je crois qu'il est primordial, toutefois, pour l'ambitieux, de reconnaître ce sentiment qui l'habite. Il ne s'agit pas de le combattre, au contraire, mais d'utiliser cette force vitale pour avancer, pour se relever, pour se dépasser. Il est plutôt question de ne pas en souffrir inutilement, et de comprendre comment il peut s'intégrer à une vie aussi harmonieuse que possible. De comprendre que l'ambition ne peut être la seule force à nous pousser, sous peine de courir d'insatisfaction en frustration, et de rancœur en solitude.

samedi 28 mai 2011

Evenément et Expérience

Evénement et expérience. Comment ces mots jouent-ils entre eux? Comment sont-ils reliés?

L'événement est le fait qu'il se passe quelque chose. L'idée d'événement est donc profondément liée à celle de changement, d'évolution. Nous avions une situation, et il y en a maintenant une autre. L'événement est inscrit dans la temporalité, il y a un avant et un après - voire un pendant. Ainsi, dans l'étude des probabilités, l'événement est l'ensemble des résultats d'une épreuve aléatoire. Avant l'événement, on pouvait en étudier la probabilité. Après l'événement, on la connaît.
Notre vie est remplie d'événements, du fait même que nous sommes en vie. Chaque minute qui passe est remplie d'événements. Un philosophe grec comparait la vie à une rivière qui coule: elle est différente à chaque instant. Le temps habille la vie et l'empêche de ne jamais être semblable à elle-même.

Mais savoir que la vie est remplie d'événements me semble insuffisant à la condition humaine. Peu me chaut que rien ne soit jamais semblable en théorie si pour moi tout se ressemble. Et c'est là que l'idée d'expérience intervient. L'expérience est ce que nous faisons des événements, elle en leur appropriation subjective (au sens de pour le sujet). En quelque sorte, l'expérience est l'événement digéré par le sujet, digéré par sa raison, ses sens, son histoire et son destin. L'expérience est donc ce que je fais de la série continuelle d'événements à laquelle j'assiste, dans laquelle je vis. Si l'événement est inhérent à la vie, l'expérience est intimement liée à l'existence. La vie est faite d'événements, mais l'existence est faite d'expériences. Je ne peux pas être au monde, je ne peux pas vivre en tant que sujet sans expériences.

Irréversibilité

Je me demande ce qu'il y a d'irréversible. Je veux dire quelque chose qui ne soit pas la mort, mais vers quoi on ne peut plus retourner, après quoi rien ne sera plus pareil.
Je pense que c'est beaucoup le rôle du sacré: rendre immuables ou graves des actes ou situations qui ne sont pas la mort - bien sûr le sacré joue dans l'intégration de la mort dans le vivant, mais ce n'est pas ici mon propos. La société humaine prend le relais de la brute nature, et pose des interdits, des tabous, de telle sorte que leur transgression ne sera plus réparable. On a besoin de ces moments graves (au sens de gravitas, pesants), des morts partielles peut-être, pour pouvoir continuer à vivre et accepter notre statut de vivants.

Mais qu'y a-t-il de proprement irréversible? Quels sont ces points de non-retour?
Notre société nous en donne foison, certains sont négligeables ou peu significatifs (par exemple: un diplôme est un titre auquel on ne peut pas renoncer après coup. On ne pourra plus jamais ne pas être diplômé). Mais je voudrais ici réfléchir à un aspect plus métaphysique de cette question. L'âme peut-elle être marquée à jamais, peut-elle devenir radicalement autre à la suite d'un événement, d'une expérience?