vendredi 28 octobre 2011

Folie et pouvoir

On entend souvent que le pouvoir rend fou, et on parle de la "folie des grandeurs". L'idée communément admise est que l'humain, s'il se trouve en position de pouvoir sur les autres, adopte rapidement un comportement anormal, hors du commun. Comme le formule Montesquieu, "tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser". 

Toutefois, je me demande si l'on ne peut pas inverser cette proposition. Et si, dans de nombreux cas, la folie conduisait à rechercher le pouvoir ?
Par folie, j'entends ici, de manière large, la manière selon laquelle un individu perçoit le monde extérieur, et qui est assez éloignée de la réalité (le mot réalité pouvant bien sûr lui-même faire l'objet d'une discussion). Ainsi, au sens large, la folie pourrait être comprise comme l'isolation d'un individu dans sa façon de percevoir le monde.

Et si, bien souvent, une quête de pouvoir n'était que la réponse à un besoin de se convaincre que sa vision du monde n'est pas folie ? Imaginons le scénario suivant. Je vois le monde d'une certaine façon, notamment concernant les rapports que j'entretiens avec les gens que je rencontre et qui m'entourent. Mais j'ai la suspicion que je suis assez seule dans ma façon de voir les choses. Afin de me rassurer, je tente de faire partager cette perception. Et, pour cela, je sens que j'ai besoin d'avoir du pouvoir sur les autres, afin que, d'une part, ils n'aient d'autre choix que d'admettre ma vision comme vraie - peu important dans cette discussion que la vision soit effectivement réaliste ou non, et que, d'autre part, ma perception devienne en quelque sorte la réalité que les autres devront donc admettre. Par exemple, Hitler, torturé par son aryanisme et sa haine du judaïsme, a tenté de transformer la société pour la mettre en accord avec sa vision - vision qui n'était pas en accord avec la réalité sociale.

En d'autres termes, je me demande si l'on ne peut pas expliquer le lien entre folie et pouvoir par l'adjonction du facteur réalité. Ma folie me pose en décalage avec la réalité ; et ainsi s'initie le mouvement consistant à essayer de conformer la réalité à ma folie, mouvement pour lequel de plus en plus de pouvoir est requis.

J'ai conscience que mon propos n'est pas ici des plus clairs, mais il peut probablement se simplifier en la proposition suivante : le besoin de pouvoir est probablement nourri en grande partie par la folie, peut-être bien plus que le pouvoir n'alimente lui-même la folie. Et pour faire le lien entre folie et besoin de pouvoir, il faut introduire l'idée d'autrui. La quête de pouvoir comme on l'entend habituellement est celle du pouvoir sur autrui, ce pouvoir consistant à avoir les moyens - ne serait-ce qu'à l'état de possibilité - d'imposer à autrui sa vision du monde. Hors, si je suis folle, ma vision du monde n'est pas, par définition, largement partagée par autrui, et voire est difficilement partageable. Pour pouvoir la partager, je vais donc avoir besoin de l'imposer, et pour cela, il me faudra du pouvoir sur les autres. Et autrui étant par nature inappropriable, ma soif de pouvoir sera aussi inextinguible que ma folie.

Toutefois, si j'ai besoin qu'autrui se plie à ma réalité, c'est parce que le fait que cette réalité soit mienne ne me suffit à la rendre certaine ; j'ai besoin que les autres me renvoient l'assurance que je ne suis pas seule à voir les choses ainsi, en d'autres termes, que je ne suis pas folle.

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