Hier, j'ai assisté dans le cadre du festival de théâtre étudiant amateur Rideau rouge, à une représentation des deux pièces Le Cavalier seul et L'Ombre de la vallée jouées l'une à la suite de l'autre par la troupe "La Compagnie en Eaux troubles (du cours Florent). Ces deux pièces, sont dont les premières que je vois jouées de l'Irlandais John Millington Synge. Jusque là, je ne connaissais que le poème de Seamus Heaney, "Synge on Aran", du recueil Death of a Naturalist (1966).
Voici ce poème, suivi d'une traduction en français de ma part (avec les excuses anticipées et d'usage pour les éventuelles et probables erreurs ou inexactitudes de traduction) :
Synge on Aran
Salt off the sea whets
the blades of four winds.
They peel acres
of locked rock, pare down
a rind of shrivelled ground;
bull-noses are chiselled
on cliffs.
Islanders too
are for sculpting. Note
the pointed scowl, the mouth
carved as upturned anchor
and the polished head
full of drownings.
There
he comes now, a hard pen
scraping in his head;
the nib filed on a salt wind
and dipped in the keening sea.
Synge sur Aran
Le sel de la mer aiguise
les lames de quatre vents.
Ils pèlent des acres
de pierre fermée, rognent
une pelure de sol racorni ;
des museaux de taureau sont ciselés
sur les falaises.
Les habitants aussi
sont à sculpter. Notez
l’air décidément renfrogné, la bouche
taillée comme une ancre renversée
et la tête polie
emplie de noyades.
Là,
il arrive maintenant, un stylo rude
raclant dans sa tête ;
la plume taillée sur le vent de sel
et trempée dans la mer acérée.
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Ce poème m'avait d'abord marquée par sa superbe métaphore entre l'écriture de Synge et le travail de la mer et du vent. Un champ lexical du coupant, de l'acéré est développé, d'abord en ce qui concerne les éléments naturels, avant d'être transposé sur les habitants de l'île d'Aran eux-mêmes. Finalement, cette métaphore s'applique à l'écriture, à la poésie de Synge. Les éléments de la côte irlandaise et du large écrivent déjà une histoire poétique, les insulaires sont déjà des personnages. Synge, en arrivant, en restant sur cette île - et le titre du poème suggère que ce séjour est temporaire, sans quoi un poème sur cette situation n'aurait pas été - ne fait que prolonger ce mouvement déjà commencé, en couchant sur le papier ces mots tranchants. Et encore, le poème lui-même ne mentionne pas le papier. La plume, le stylo, l'outil pointu qui sert à tracer des mots en est encore à "racler dans sa tête". Synge est décrit par Heaney comme faisant organiquement partie de ce paysage, de ce mouvement. Le corps de Synge est intégré à ce processus. Il est lui aussi happé par la situation dure de l'île.
J'ai repensé à ce poème en assistant à la représentation des deux pièces dont j'ai parlé brièvement au début de ce post. Dans ces deux pièces, chacune en un acte, règne une impression d'enfermement. Les personnages sont en quelque sorte prisonniers de la maison ; dehors, des éléments naturels hostiles, durs. Dehors, la mort. La narration mise en place par les personnages renvoie à l'inéluctabilité de l'existence, soumise à l'inflexible dehors.
Heaney, jouant sur le thème du tranchant et de la sculpture, souligne encore l'absence de choix qui est mise en scène par Synge. La vie est dure, et l'on ne la choisit pas. Là-bas, les humains sont aussi âpres que leurs alentours et leurs existences.
Par ailleurs, la langue employé par les personnages de ces pièces contribuent encore à promouvoir cette impression d'enfermement : les expressions ne sont ni créatrices ni originales. Ceux qui parlent décrivent la matérialité de ce qui les entoure, sans évoquer d'autres images ou d'autres références. Leur syntaxe les empêche de s'amuser de la langue.
Je trouve dans ces tableaux de Synge une beauté âpre, une foi dans la vie humaine qui n'a d'égal que le sentiment de la finitude de cette vie. Cet auteur place ses personnages dans un paysage, une nature qui les englobe, pour en venir à les définir. Par exemple, dans L'Ombre de la vallée, la jeune femme se définit par la solitude qui est la sienne dans cette maison accrochée à un bout de montagne, par son enfermement dans les brumes.
Par ailleurs, la langue employé par les personnages de ces pièces contribuent encore à promouvoir cette impression d'enfermement : les expressions ne sont ni créatrices ni originales. Ceux qui parlent décrivent la matérialité de ce qui les entoure, sans évoquer d'autres images ou d'autres références. Leur syntaxe les empêche de s'amuser de la langue.
Je trouve dans ces tableaux de Synge une beauté âpre, une foi dans la vie humaine qui n'a d'égal que le sentiment de la finitude de cette vie. Cet auteur place ses personnages dans un paysage, une nature qui les englobe, pour en venir à les définir. Par exemple, dans L'Ombre de la vallée, la jeune femme se définit par la solitude qui est la sienne dans cette maison accrochée à un bout de montagne, par son enfermement dans les brumes.
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