Qu'est-ce qu'apprendre ? En quoi est-ce autre chose qu'ingérer des objets intellectuels et culturels ? En quoi est-ce autre chose que répéter, que se soumettre à une connaissance préconstituée ?
Apprendre, c'est retourner sur soi, et ce processus commence par un juste positionnement de soi par rapport au monde. Par cette phrase certes un peu pédante, je veux dire que l'on ne peut apprendre quoi que ce soit si l'on se situe dans un rapport aux choses qui nous environnent (par choses, je désigne ici tout phénomène, objet, idée, qui nous est extérieur, ou plutôt, qui est extérieur à notre conscience immédiate) trop immédiat ou trop éloigné. D'une part, comment puis-je désirer connaître ce que j'estime connaître déjà ? Dans ce cas, trop de proximité, trop d'identification avec ce qui serait un potentiel objet de connaissance, m'empêche de développer la soif de le connaître. Or, sans soif de le connaître, je n'apprendrai jamais. Comme le formule la prêtresse Diotime dans Le Banquet (Platon), "on ne désire pas ce dont on ne croit pas manquer". Cet aspect de mes remarques souligne le lien entre le désir et l'apprentissage, lien sur lequel il faudra revenir ultérieurement.
D'autre part, comment désirer apprendre ce qui me submerge, ce qui me semble si étranger à moi-même que je ne souhaite, que je ne me sens pas capable de l'aborder. On voit ici qu'apprendre entretient une relation étroite avec le sentiment de dominer, ne serait-ce que de manière partielle, mon environnement. Si je suis soumise aux évènements en permanence, je ne peux jamais les envisager comme de potentiels objets de savoir - je ne peux jamais les transformer en expérience (pour une distinction de ces deux termes, voir le post "Evénement et expérience" du 28 mai 2011). Pour apprendre, voire pour vouloir apprendre, il me faut avoir l'intuition que mon environnement (encore une fois, ce mot devant être pris au sens large de ce qui m'entoure, en termes de phénomènes, de choses, ou d'idées) est susceptible de connaissance. Et cette intuition ne saurait être sans le sentiment que je suis capable de connaître, sans un minimum d'audace frisant à l'effronterie. Je ne peux apprendre sans un minimum de liberté vis-à-vis de ce que la société m'indique comme autorités.
Je n'ai jamais connu d'apprentissage qui se fasse dans l'humilité et la soumission (mais j'ai rencontré des rabâchages effectués dans ces conditions). Je n'ai jamais connu d'apprentissage véritable qui ne se fasse sans une transformation de l'individu - apprendre, c'est devenir, c'est se transformer. Littéralement, si je n'appréhende pas, si je ne m'approprie pas, je n'apprends rien. Je n'ai jamais connu d'apprenti qui soit serein : celui qui apprend a entrepris une quête presque folle dans des territoires inconnus. Il ne sait pas où cela le mènera, et il ne sait pas si ce processus aura un terme. Je reproduis ici un de mes poèmes, soulignant le mouvement de désire de la pensée, qui m'entraîne perpétuellement à continuer à penser, à apprendre.
PENSER
Bourgeon de mon imagination
Pour rire, je te saisis entre mes dents.
Pour rire, je te dorlotte
Pour te mener à éclore.
Pour rire, je te regarde t’ouvrir en fleur large et rouge.
Je ressens l’extase du dénouement.
Et je vis quelques moments sur la beauté de ta croissance.
Mais déjà un autre bourgeon obscène de l’imagination appelle
mon intellect et ma passion.
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