mardi 26 août 2014

Billet d'humeur - les aides sociales

Cet article sera sans doute plutôt un court billet d'humeur. J'ai trop entendu, et l'ai encore entendue récemment, cette opinion revêtue du vernis du bon sens : "La France est un pays d'assistés, avec toutes les aides sociales, c'est plus intéressant de ne pas travailler que d'avoir un travail."

Cet avis m'agace car il manifeste une extrême méconnaissance de ce que sont la misère et la pauvreté. Des personnes dotées d'un travail trouvent que, entre le RSA, les APL et les allocations familiales, ces gens bénéficient tout de même largement de la générosité de l'Etat. Mais l'Etat n'est pas généreux. Les gens qui ont pour seules ressources ces revenus sont, la plupart du temps, dans une grande pauvreté. (Je dis "dans la plupart du temps", car il y a bien sûr des fraudes à ce système, mais comme à tout système). 
Et une petite remarque ad personam : étrangement, ceux que j'entends tenir ce discours sont souvent des gens loin eux-mêmes de la misère. Ils pensent qu'avec 900 euros par mois, on est riche. Peut-être quand on a sa famille derrière soi, quand on a des économies ou que l'on est fort socialement. Quand on a rien, que l'on est entouré de gens eux-mêmes dans la misère, et que ces 900 euros doivent absolument tout couvrir, c'est peu. Et il faut préciser que, pour atteindre un tel montant, il faut avoir des enfants à charge.

Non, je ne veux pas d'un pays, où, sous prétexte d'égalité formelle (l'argent se distribue uniquement par le travail), des parents ne peuvent nourrir leurs enfants, où face à une situation critique, on laisse des gens mourir de faim ou de froid. Et ces gens qui estiment qu'il s'agit de bons à rien qui ne veulent pas travailler, sont, je le constate, souvent de ceux qui n'ont pas tout gagné à la sueur de leur front. La famille était là, avec des moyens appréciables pour aider ses rejetons. Et, en France, pour que cette dernière phrase soit vraie, il n'est pas nécessaire de parler des 1% des familles les plus aisées, il suffit d'appartenir à la classe moyenne - état des choses qui est également le produit d'une société qui a souhaité redistribuer plutôt que laisser les mêmes s'enrichir tandis que les autres n'avaient aucune perspective d'amélioration de leur situation.

Il est difficile de mettre en œuvre une justice sociale universelle - tâche épuisante et sans fin. Mais j'ai la nausée que l'on remette en cause les acquis de notre pays, dont nous devrions plutôt être fiers. Être une société, c'est ne pas accepter que le miséreux n'ait aucune chance, aucun moyen de s'en sortir ; c'est refuser de ne pas entendre l'incroyable détresse de la pauvreté de l'autre. Et oui, c'est d'autant plus difficile quand on ne connaît pas cet autre personnellement.

dimanche 19 janvier 2014

Le Loup de Wall Street - Les Ressassements de notre temps

Le Loup de Wall Street : un film distrayant, relativement prenant. Mais ce n'est pas un excellent film. Certes, on n'y rit par moment, il y a quelques scènes un peu marquantes.
En fait, c'est surtout un film sur les obsessions de notre temps, et c'est sans doute pour cela qu'il nous happe, pour ainsi dire.

Obsessions pour l'argent, le sexe et la drogue, l'argent permettant d'acheter tout le reste.
Notre monde occidental est fasciné par le succès, qui se traduit par la richesse. Et nous sommes fascinés par la richesse extrême, indécente.
Sexe et drogue sont mis en scène dans ce film de la même manière que l'argent : de manière illimitée (d'un point de vue quantitatif) et sans limite, ni sociale (le regard des autres) ni individuelle (la honte de soi, le doute sur ce que l'on fait).
Notre société fantasme l'individu qui aime le matérialisme - comme si cela pouvait nous rendre heureux.

Le travail est central - ou du moins fantasmé comme central. L'entreprise que l'on voit se monter, procure des profits indécents à ses salariés, leur procure amusement, divertissement, voire leur permet d'obtenir une personnalité. Par contre, pour celui qui dévie, c'est l'humiliation immédiate et publique. Et personne ne proteste ni n'a d'arrière-pensée : il s'est désolidarisé de la boîte, il n'a pas donné tout ce qu'il avait pour elle.
A la fin du film, le héros, qui a tout perdu, a tout de même retrouvé un travail - conférencier sur la psychologie de la vente. Le spectateur est rassuré. Pour le reste, peu importe, finalement.

Et notre temps est bien moderne. On y compte, on y quantifie, on y valorise le succès individuel.
C'est l'histoire d'un film où tout - et tout le monde - s'achète. Des travailleurs qui veulent devenir riches, aux prostituées, en passant par la conscience de chacun (par exemple, les parents du protagoniste, enrichis, ne songe pas à discuter de morale ou de sens avec leur fils). La maison, la voiture, de même que l'épouse, s'achètent. On peut faire faire n'importe quoi à n'importe qui avec de l'argent - se couper les cheveux, se faire lancer dans une cible, ne sont que des exemples de ce que l'on voit dans ce film. Et la justice s'achète aussi : en acceptant de coopérer avec elle, et en donnant le nom de tous ses complices, le protagoniste descend de vingt ans de prison probables à moins de quatre ans, dans une prison à l'écart de ceux qu'il a connu.

En résumé, ce film happe car il étale, avec une certaine adresse, les schémas plus ou moins conscients qui nous hantent collectivement, et qui peuvent sans doute être désignés comme provenant de la société Nord-américaine.

jeudi 9 janvier 2014

Bonjour tristesse

Bonjour tristesse, court roman d'une adolescente de la grande bourgeoisie parisienne.

Dans la lignée de Gide, Françoise Sagan explore dans ce livre - le seul d'elle que j'ai lu, pour le moment - comment on peut cueillir l'existence à travers l'exaltation des sens et l'expérience. Ou plutôt : "les expériences". Ce roman peut en effet être décrit comme portant sur ces deux thèmes.

L'exaltation des sens
Cécile, le personnage principal de ce roman, narré à la première personne, est une jeune fille, de dix-sept ou dix-huit ans, qui n'aspire qu'à une vie sensible. Elle nage, dort, dore au soleil, marche, embrasse, fait l'amour. Elle boit et mange, fait du bateau, a chaud.
Ses sens lui sont tellement importants qu'elle en vient à devenir hostile à celle qui lui a interdit de simplement suivre ses instincts.
Quelque part, cette héroïne est une cousine du Bardamu de Voyage au bout de la nuit : elle agit quasiment exclusivement selon ce qu'elle ressent. Cependant, elle n'est pas sa soeur, car, contrairement à lui, toute considération morale ne lui est pas étrangère, toute velléité de s'améliorer ne lui est pas inconnue. Ces considérations sont simplement, sans grand tourment et systématiquement, balayées au profit de ses envies immédiates, de la mise en oeuvre de ses représentations fantasmées.
Au contraire des héros romantiques, tourmentés par leur âme et leur humanité, Cécile accepte sans peine et sans honte son côté animal. Elle aime, n'aime pas, veut, ne veut pas. Il semble n'y avoir aucun intermédiaire entre ses sensations et leur expression.

L'expérience et les expériences
Le comportement de Cécile, face à toute situation, est d'agir et d'exprimer uniquement ce qui lui semble joli, ce qui lui plaît, à court terme, sans voir plus loin que le bout de son nez. Elle n'est pas vraiment idiote - c'est-à-dire qu'elle n'ignore pas complètement les conséquences pour autrui de ses actes. Toutefois, elle s'en moque profondément.
Face à un deuil, elle pleure sur elle.
C'est un roman d'expérience, au singulier, dans le sens où il se présente un peu comme un court récit d'apprentissage. Au début du roman, Cécile est une jeune fille frivole, mais frivole car elle n'a jamais entraperçu ce qu'auraient pu être ses jours sans la frivolité. En quelque sorte, sa légèreté est involontaire, inconnue, non reconnue. Comme elle le dit : " C'est ainsi que je déclenchai la comédie. Malgré moi, par nonchalance et curiosité."
Tout est là : les choses se meuvent autour d'elle, car elle s'essaie, pour se distraire, à les mettre en mouvement.
A la fin du roman, elle continue sur le même train, mais ce après avoir - brièvement, certes - entrevu que l'on peut vivre autrement, et qu'il peut y avoir une certaine saveur, une certaine grandeur, dans un autre style de vie. Cependant, la question d'un changement profond, volontaire, ne se pose jamais.
Elle continuera de la même façon, entourée de gens qu'elle n'estime pas particulièrement, mais qui l'amuse.
Elle continuera de la même façon, mais avec un poids qu'elle gardera au fond d'elle. Un poids qui semble pourtant léger. Un souvenir, un sentiment, que sa vie désormais, aurait pu, chaque jour, être autre - mais qu'elle ne l'a pas été.


Ce livre peut également se lire comme un témoin du retournement individualiste de la modernité. Il faut jouir, et c'est tout. Hors la jouissance, pourquoi pas la torpeur.
Cette adolescente de la grande bourgeoisie parisienne ne connaît aucune considération sociale ou de classe. Plus largement, je veux indiquer qu'elle ne se préoccupe absolument pas de sa situation par rapport à celle des autres ; elle n'imagine pas non plus que sa situation eût pu être autre que ce qu'elle est.

Finalement, ce qui fait le charme de ce récit, c'est sans doute autant son style enlevé et prenant que son manifeste pour le désir de vivre. Après avoir ouvert la première page, je n'ai plus désiré que de le lire en entier.