Ce soir, j'ai vu un spectacle divertissant, sans conséquence.
Il a glissé devant moi, sans qu'aucune des pincettes de mon âme ne s'y emmêle.
C'était prometteur. Je veux dire que cela aurait pu être superbe, qu'il y avait beaucoup de choses, beaucoup d'éléments originaux, esthétiques, et même intelligents, sans pour autant que ces éléments ne forment un tout. J'avais envie, pour les musiciens, pour moi, pour la salle, que le concert décolle, qu'il quitte la surface pour devenir tempête.
J'ai vu une chanteuse et compositrice essayer de faire quelque chose d'original, mais sans parvenir à nous chanter quelque chose avec sa voix. J'avais l'impression qu'elle s'écoutait chanter et jouer, plus qu'elle ne chantait et ne jouait.
Dans l'art - mais peut-être est-ce le cas dans beaucoup d'autres domaines également - il faut ce souffle, cette perte de soi dans l'oeuvre, sans quoi on en est réduits à reproduire, à imiter.
Ce souffle peut être, notamment et sans ordre particulier, celui de l'amusement, de la joie, de l'extase, de l'humour, de la tristesse, du repli sur soi, du soin du monde et d'autrui, du rire, de l'amour. Vivant. Ce souffle que je peine à caractériser est peut-être simplement le souffle vital, qui tient à ce que nous sommes vivants, en vie et en existence.
A l'inverse, un exécutant qui reproduit servilement, qu'il s'agisse de musique ou d'autres formes d'expression artistique, n'est pas du côté de la vie. Il imite l'extérieur, sans consulter son intériorité, sans écouter ce qu'il a à exprimer.
Par exemple, j'ai écouté des concerts de musique baroque, sacrée. Parmi ceux-ci, j'en ai vécu certains. Les exécutants étaient devenus créateurs. Ils ont respecté le cadre qu'ils s'étaient proposé - une partition de musique ancienne - mais cela ne les a pas empêché de se donner entièrement à leur art. D'exécutants, assimilables sans doute à des orgues de barbarie perfectionnés, ils sont devenus des artistes.
Ce soir, au contraire, j'ai vu une musicienne qui, à force de vouloir être différente, ne s'autorise pas à se donner à ce qu'elle fait, à être ce qu'elle vit. Le résultat en est plat et sans grand intérêt. Sans conséquence.