jeudi 4 juillet 2013

Un spectacle sans conséquence

Ce soir, j'ai vu un spectacle divertissant, sans conséquence. 

Il a glissé devant moi, sans qu'aucune des pincettes de mon âme ne s'y emmêle. 

C'était prometteur. Je veux dire que cela aurait pu être superbe, qu'il y avait beaucoup de choses, beaucoup d'éléments originaux, esthétiques, et même intelligents, sans pour autant que ces éléments ne forment un tout. J'avais envie, pour les musiciens, pour moi, pour la salle, que le concert décolle, qu'il quitte la surface pour devenir tempête. 

J'ai vu une chanteuse et compositrice essayer de faire quelque chose d'original, mais sans parvenir à nous chanter quelque chose avec sa voix. J'avais l'impression qu'elle s'écoutait chanter et jouer, plus qu'elle ne chantait et ne jouait. 

Dans l'art - mais peut-être est-ce le cas dans beaucoup d'autres domaines également - il faut ce souffle, cette perte de soi dans l'oeuvre, sans quoi on en est réduits à reproduire, à imiter. 

Ce souffle peut être, notamment et sans ordre particulier, celui de l'amusement, de la joie, de l'extase, de l'humour, de la tristesse, du repli sur soi, du soin du monde et d'autrui, du rire, de l'amour. Vivant. Ce souffle que je peine à caractériser est peut-être simplement le souffle vital, qui tient à ce que nous sommes vivants, en vie et en existence. 

A l'inverse, un exécutant qui reproduit servilement, qu'il s'agisse de musique ou d'autres formes d'expression artistique, n'est pas du côté de la vie. Il imite l'extérieur, sans consulter son intériorité, sans écouter ce qu'il a à exprimer.

Par exemple, j'ai écouté des concerts de musique baroque, sacrée. Parmi ceux-ci, j'en ai vécu certains. Les exécutants étaient devenus créateurs. Ils ont respecté le cadre qu'ils s'étaient proposé - une partition de musique ancienne - mais cela ne les a pas empêché de se donner entièrement à leur art. D'exécutants, assimilables sans doute à des orgues de barbarie perfectionnés, ils sont devenus des artistes. 

Ce soir, au contraire, j'ai vu une musicienne qui, à force de vouloir être différente, ne s'autorise pas à se donner à ce qu'elle fait, à être ce qu'elle vit. Le résultat en est plat et sans grand intérêt. Sans conséquence.

mardi 30 avril 2013

Babylone et Athènes - musarderie sur la ville

J'entends parfois que la ville serait le lieu de la perte de soi, de la perte de sens. En habitant en ville, on se condamne à vivre dans la société de consommation, à rechercher la satisfaction de bonheurs superficiels, à accepter que, quotidiennement, le nombre d'inconnus croisés sera largement supérieur au nombre de personnes déjà connues rencontrées.

La vie en ville est chère, et pour pouvoir y vivre bien, l'on se condamne à travailler, à axer son existence autour de l'argent.

Encore : la ville pue.


Pourtant, je vois plutôt la ville comme un lieu de transformation sociale. En vivant en ville, en mettant en commun les moyens, on permet à chacun de s'émanciper, relativement, des contingences du quotidien. La ville donne, au moins d'un point de vue théorique, une certaine latitude, une certaine indépendance par rapport à son groupe social d'origine.

En théorie, l'accès aux choses de l'esprit, que ce soit pour se divertir ou apprendre, est plus aisé.

Vivre en ville permet aussi une forme d'insouciance : je n'ai pas à organiser l'ensemble de mon existence autour de la satisfaction de mes besoins. Si j'ai faim, les seules choses dont je devrais vraiment tenir compte seront les horaires des magasins, boutiques ou restaurants, et, éventuellement, les jours de marché.

L'un des grands avantages de la vie en ville est sans doute l'accès facilité à la culture. Accès aux livres, aux films, au théâtre, à la musique, à la danse, aux discussions, aux expositions.

La ville, c'est aussi souvent le départ vers l'ailleurs. Elle est lieu d'arrivées et de départs, et l'on y rencontre des gens de passage, ou en escale, sur le départ, ou bien installés.

Cependant, ce que je voulais faire ici, ne consiste pas particulièrement en une énumération des avantages ou caractéristiques de la vie en ville. Non, je voulais souligner le fait que la vie en ville rend possible une réflexion sur comment vivre ensemble.

Comment vivre ensemble ? Comment répartir l'espace urbain ? Voulons-nous des voies rapides, des chemins touffus, des terrains de sports publics, des logements, des bibliothèques, des places, des cafés ? Des salles de danse, des universités, des foyers, des boutiques ? Des voies cyclables, des trottoirs, des voitures ?

Quelles règles peut-on mettre en place pour que vivre ensemble soit le plus harmonieux possible ? Que peut-on légitimement décider de mettre en oeuvre ou de limiter ?
Comment allons-nous décider ensemble de cela ?

Pour moi, la ville, c'est l'occasion de se construire ensemble un endroit que l'on partage, car cela nous rend le quotidien plus facile, plus riche. Mais cette construction ne peut se passer d'une réflexion sur comment éviter de se rendre cette vie ensemble pénible, insupportable. Et comment, même, la rendre agréable ? Peut-on lui donner un sens ?

mercredi 16 janvier 2013

Le vélo : déclaration naïve

J'aime faire du vélo. Je trouve qu'il s'agit du meilleur mode de déplacement en ville.
De manière comparative, et négative, je peux dire que je le préfère aux autres modes urbains de déplacement :
- il est moins lent que de marcher, et permet donc d'avoir un rayon de circulation la plupart du temps approprié à la vie en ville
- je n'ai pas de temps d'attente avant de le prendre, et je n'ai pas besoin de surveiller des horaires
- je ne suis pas serrée contre les autres passagers
- il coûte moins cher qu'une voiture - et en achat et en entretien
- je ne dépends de personne

Mais je l'aime aussi en lui-même. Quand je suis sur un vélo, je me sens libre. Libre de prendre le chemin que je veux, libre de me perdre ou d'essayer des nouveaux itinéraires, libre de partir quand je veux. Quand je vais d'un endroit à l'autre, il me donne l'occasion de me changer les idées, éventuellement en chantant à tue-tête. Il me permet de faire de l'exercice régulier et plutôt doux, ce qui n'est pas un petit luxe lorsque l'on habite en ville. Et surtout, je me sens vivante : j'entends ce qu'il y a autour de moi, j'apprécie selon que je suis dans une rue bruyante ou calme, je sens les odeurs des saisons et des choses.
Et puis, cela peut sembler trivial, mais à chaque fois que je me laisse descendre le long d'une pente, je me dis que j'avance par la seule force de la gravité, et je trouve cela fantastique. Et quand je gravis, parfois péniblement, une côte, j'ai cette pensée qui me vient, selon laquelle je suis en train d'engranger de l'énergie, pour quand je descendrai.

vendredi 11 janvier 2013

Divertissement

"La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c'est la plus grande de nos misères. Car c'est cela qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous fait perdre insensiblement. Sans cela, nous serions dans l'ennui, et cet ennui nous pousserait à chercher un moyen plus solide d'en sortir. Mais le divertissement nous amuse et nous fait arriver insensiblement à la mort."
Pascal, Pensées, fragment n° 171 (numérotation de Lafuma)

Je voulais écrire quelque chose sur le divertissement, expliquant combien il nous est nécessaire, car l'on ne saurait vivre avec uniquement des objectifs réfléchis et de long-terme. Avant que d'écrire un billet sur le point du divertissement, il m'a semblé important de m'intéresser à ce qu'en dit Pascal, connu notamment comme le théoricien majeur de cette notion. Je me trouve alors face à ce fragment, que j'ai reproduit plus haut, et il me semble qu'il exprime encore mieux que je ne l'aurais fait l'ambivalence du divertissement.

Je me contenterai donc, ici, de proposer quelques réflexions sur la nature du divertissement et la place qu'il occupe dans notre existence.
Par divertissement, il faut entendre les activités ou les occupations qui n'ont pas d'objectif moral ou signifiant, c'est-à-dire dont l'accomplissement ne les dépassent pas, mais plutôt leur est circonscrit. Par exemple, si je joue au bowling, l'objectif est d'abattre les quilles de façon à marquer le plus de points possibles. Que je gagne ou que je perde, finalement, n'a pas d'importance en dehors du jeu, et le fait de jouer au bowling ne me transcende pas, ou encore pourrait-on dire, ne me dépasse pas. Je joue pour jouer, pour passer le temps, peut-être pour ne pas penser aux choses plus graves de la vie. Au contraire, apprendre n'est pas du divertissement, en ce sens que cela à un sens en dehors de son pur acte : je n'apprends pas, en général, pour apprendre ; j'apprends afin de devenir meilleure, de devenir une personne plus capable, de développer mes capacités qui sont encore à l'état latent, afin d'atteindre certains buts. Par exemple, à l'extrême, l'on pourrait dire que je peux décider de devenir meilleure au bowling, de comprendre comment fonctionne cette activité, et l'utiliser comme un moyen de mieux me connaître, tant au point de vue psychique que physique. Plus classiquement, ne sera pas du divertissement une réflexion sur la nature de l'être, de l'humain, de la vie, et sur l'inéluctabilité de la mort.

Ainsi, l'on pressent que plaisir et divertissement ne sont pas nécessairement liés. Je peux me divertir sans rire ou ressentir de joie, et trouver une certaine joie dans des activités qui ne relèvent pas du divertissement.
Je peux me divertir, donc me détourner des vrais buts de l'humain, sans rire ou ressentir de joie, sans que cela ne me fasse résoudre une certaine lassitude que je peux ressentir à l'égard de l'existence. Je pourrai oublier mes soucis, un temps, mais sans y prendre réellement plaisir.
Je peux m'amuser d'activités qui ne relèvent pas du divertissement, en, par exemple, ressentant une certaine satisfaction à l'idée d'avoir abouti à une solution, au moins intermédiaire, concernant les problèmes moraux qui m'occupaient.
Toutefois, il convient de ne pas négliger le divertissement, même s'il ne nous amuse pas systématiquement. En effet, l'on ne peut vivre que de réflexions profondes et d'actions réfléchies. L'être  humain a besoin de se divertir, de s'amuser, en un mot, d'oublier sa condition, au moins de temps en temps, afin de pouvoir, ensuite, éventuellement, s'attaquer - ou se réattaquer aux questions et problèmes liés à sa condition.