Plusieurs passages de L'insoutenable légèreté de l'être peuvent enrichir ou illustrer encore quelque peu la discussion sur les liens entretenus entre l'humain et l'animal. Je reproduis ici la citation qui est, à mon sens, la plus parlante, la plus emblématique.
"La vrai bonté de l'homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau si profond qu'il échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c'est ici que s'est produite la faillite fondamentale de l'homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent."
Milan Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être, Gallimard, éd. 1984, p 421
Pour Milan Kundera, l'important dans la relation de l'humanité aux animaux est que ceux-ci "ne représentent aucune force". Il est vrai que l'animal ne pourra jamais exercer de pouvoir, au sens où le pouvoir s'exerce et joue à un niveau symbolique. L'animal pourra causer des dommages, mais le but n'en sera jamais la cruauté. La cruauté, c'est-à-dire le fait de faire souffrir autrui avec la connaissance de le faire souffrir, ou d'augmenter sciemment ses souffrances, ne pourra jamais être le fait d'un animal. On pourra toutefois être cruel envers un animal : nous pourrons, en tant qu'humains, faire souffrir un animal, en ayant la conscience de le faire souffrir. Si la cruauté est un attribut de l'humain, ce n'est pas le cas de la souffrance, qui est partagée par une grande partie, au moins, du règne animal.
La relation de l'humain à l'animal, et plus particulièrement, la cruauté envers les animaux est un thème qui parcourt l'ensemble du roman. Kundera insiste notamment sur le fait que le régime soviétique avait dédramatisé la souffrance animale, afin de préparer à la souffrance humaine. A l'aune de la citation ci-dessus, cela peut également se comprendre comme un basculement obscène de la sphère privée à la sphère publique. Le test moral de l'humanité auquel Kundera fait référence se dérobe en principe au regard : la relation de l'humain à l'animal est quelque chose qui appartient à la sphère privée de chacun. En faisant passer cette relation vers la sphère publique, on l'institutionnalise, et on lui fait donc nécessairement perdre son caractère désintéressé. Les individus agiront, en public, vis-à-vis des animaux, ainsi qu'il est prescrit publiquement, et la possibilité de ce test moral est effacée par cette publicité. Le personnage de Tereza est à cet égard archétypique (je me garde ici d'employer le terme "exemplaire" ; en effet, cette relation, bien que romanesque, ne saurait avoir une quelconque valeur d'exemple sans perdre son caractère désintéressé et privé) : sa relation avec son chien se situe hors de toute considération incluant d'autres humains, elle relève entièrement de la sphère privée.
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