mardi 31 janvier 2012

Elucubrations foucaldiennes

Alors que, aujourd’hui, ainsi que le démontre Michel Foucault,[1] le vivant est devenu objet de gestion, et la vie appréhendée comme une donnée statistique, l’individu, le sujet, cherche à retenir sa singularité, ou tout ce qui pourra donner un sens à sa vie. Finalement, il n’y a, de manière apparemment paradoxale, rien de plus morbide que d’accepter la vie dans toute son absence de sacré, et dans toute sa nudité physique.

Le pouvoir ne s’intéresse pas à l’individu dans sa plénitude. Le premier appréhende le second dans sa fonction. Le pouvoir s’adresse à l’individu en tant que, selon les circonstances et les besoins de la situation, sujet fiscal, électeur, patient, subordonné ou employeur, usager, consommateur, ou, encore plus topiquement, élément d’une foule potentiellement dangereuse et susceptible de débordement.

Géré, managé – et ces mots sont desormais monnaie courante au quotidien, l’individu est rendu, avant tout, productif. S’il ne peut être productif, la société tendra à limiter ses capacités de nuisance, jusqu’à le nier, si besoin est, afin de le neutraliser, symboliquement, économiquement et physiquement.

Il me semble qu’une telle perspective met le doigt sur l’un des aspects de crise de notre société. Qu’est cette société qui semble préférer le tout à la partie ? Quelle légitimité pour un groupe, qui, axé sur la production, génère une souffrance provenant de son approche décidément a-ontologique (littéralement en dehors de l’être, car le niant) ?


[1] Je n’utilise ici de Michel Foucault que la notion de biopolitique, telle qu’il la propose dans plusieurs de ses écrits, et notamment dans « Il faut défendre la société », cours au Collège de France du 14 janvier 1976. A partir de cette demonstration, les développements effectuant un retour sur l’individu dans cette société sont les miens.

jeudi 5 janvier 2012

Entre théâtre et cinéma, Le Havre de Aki Kaurismäki

Le Havre est un film quelque peu étrange, dans lequel l'on sent bien le lien avec le cinéma scandinave, a plus l'air d'une pièce de théâtre filmée que d'un film.
Les personnages déclament leur texte, et leur jeu ne recherche pas du tout un quelconque réalisme. Au contraire, on dirait que l'ambition de ce jeu est de camper un personnage, une idée, une impression . Les répliques sont articulées, et se font souvent attendre. Nous sommes loin du bavardage de certains films à grand public. L'éclairage n'est pas non plus celui d'un film réaliste : le personnage qui parle est mis en valeur, comme sous un projecteur. Enfin, dans l'histoire, seul ce qui peut être montrable l'est. Pas d'introspection éprouvante des caractères, pas de dépliage des situations, pas d'émotions grandiloquentes. Tout est joué dans le concret, lequel concret est également et paradoxalement rêvé. Certaines scènes n'ont pour but que de raconter l'histoire, bien que les faits ne se déroulent pas comme ça "en vrai".
Un film plein d'humour avec finalement aucun éclat de rire. Une finesse tracée à grands traits, et une émotion enfouie dans le quotidien. Pas de jugement moral non plus : les personnages ne nous font pas la leçon, ne se comparent pas les uns aux autres. Et camper ce film dans un décor supposé réaliste - des quartiers un peu pauvres du Havre, a quelque chose d'onirique, comme si un étranger plaquait sa vision sur les choses. Kaurismäki nous entraîne dans une visite de ce pays dont il ne prétend pas venir, dont il ne prétend pas tout connaître.