mardi 13 décembre 2011

Le féminisme est un humanisme

Je trouve particulièrement difficile la question "Qu'est-ce que le féminisme ?" Je vais ici tenter d'y apporter une ébauche de réponse, et je suis prête à entendre la remarque sur l'absence de limpidité de ces propos. Sachez en tous cas que j'ai essayé, comme toujours, de formuler ma pensée au plus clair et au plus précis.

Si l'on essaie de définir le féminisme en quelques mots, on bute rapidement sur la multiplicité des discours et actions qui se sont réclamés de ce mouvement. La réponse "être convaincu qu'il est nécessaire d'améliorer la situation des femmes" ne me semble pas satisfaisante, ni même celle consistant à demander ou revendiquer que les femmes soient égales.
En effet, qu'est-ce qu'une meilleure situation ? Jusqu'à quel point l'action sera-t-elle nécessaire ? Et on veut que les femmes soient égales. J'exècre véritablement cette formule, pour son inanité logique et sa pauvreté lexicale, mais qui semble cependant imposer un certain consensus sur la scène publique. Je m'explique. Connaissez-vous la blague du corbeau ?
Q : Quelle est la différence entre un corbeau ?
R : Ses pattes sont toutes pareilles, surtout la gauche.

Et voilà le problème avec l'égalité des femmes. L'égalité se constitue nécessairement avec un autre élément. Le sujet ne peut pas être égal seul.

Cette dernière observation me conduit à remarquer quelque chose que je trouve fondamental et qui est souvent ignoré du discours public : l'égalité entre les genres n'est pas le problème des femmes. Je m'exprime mieux : l'égalité n'est pas le problème exclusif des femmes.
Plusieurs arguments sont en faveur de cette thèse.
1. Tout d'abord, d'un point de vue logique, un groupe ne peut être égal dans l'absolu. Il pourra à la limite être égalitaire, mais cela renverra alors à la situation de ses membres en son sein. Les femmes ne peuvent être égales de manière abstraite.
2. Ensuite, et c'est la conséquence de l'argument précédent, une réflexion sur le genre et la société ne saurait exclure des membres eux aussi genrés de la réflexion, et de l'éventuelle transformation sociale qui s'ensuivra.
3. Il n'est par ailleurs pas souhaitable que les questions de relations entre hommes et femmes deviennent l'apanage exclusif des femmes : encore une source d'inégalité entre hommes et femmes, puisqu'il serait en quelques sortes attendues de ces-dernières qu'elles prennent en charge cet aspect de la vie sociale. Je ne vois pas comment cela fera avancer les choses.

Je pense que ce qui m'a rendue féministe - ou m'a fait réaliser que je l'étais - est la situation répétée où on restreint la vie sociale de l'individu à un prétendu déterminisme biologique, où on confond le statistique et le vécu. Par exemple, oui, statistiquement les hommes ont de meilleures performances en sprint sur 100 mètres que les femmes ; mais cela ne veut pas dire que dans toutes les situations que je rencontrerai, où et un homme et une femme courront un 100 mètres, que le premier sera plus rapide. Cette situation relève du vécu, de l'expérience. En vivant avec les œillères du genre, on se prive de la possibilité de l'expérience et du vécu.

Pour moi, le féminisme est la posture nécessairement critique consistant à analyser les faits sociaux et individuels à l'aune du prisme du genre. Autrement dit, il s'agit de, consciemment, utiliser le genre comme un outil ou critère d'analyse.
Finalement, je ne trouve pas que le mot "féministe" soit le meilleur, étymologiquement. Je comprends son origine historique, dans une société où la propriété était quasi exclusivement accaparée par les hommes, et où les femmes faisaient peut-être plus partie du patrimoine que des propriétaires. J'avais coutume de dire qu'en d'autres temps, j'ose espérer que j'aurais embrassé la cause masculiniste, si c'était les hommes qui avaient été exclus du champ du pouvoir et de la légitimité sociale. Mais en attendant de trouver un autre terme, je pense qu'il est fondamental d'associer le féminisme à l'humanisme, à la critique qui se centre sur l'individu et qui, d'une manière que l'on pourrait qualifier de désespérée, croit en l'humain. Et par croire en l'humain, je veux dire croire en son infini capacité à porter son regard et son esprit critique sur lui ou elle, que ce soit en tant qu'individu ou en tant que société.
Je ne tolère pas que l'on empêche une personne de se réaliser, d'expérimenter, au prétexte de son genre.

samedi 3 décembre 2011

Éducation

Cette fois-ci, je me demande si l'objectif de l'éducation, que ce soit celle que l'on reçoit - ou que l'on nous propose -  de l'extérieur ou bien celle que l'on essaie de se donner à soi-même, n'est pas d'apprendre finalement que les ressources pour résoudre un problème sont en soi. Je veux dire qu'une éducation réussie nous permettra de comprendre que ces situations où je me sens impuissante à agir sur mon environnement et mon existence, ou bien triste, ou encore inutile, peuvent la plupart du temps se résoudre par la mise en oeuvre d'un retour en soi. Je cherche des ressources en moi-même pour changer cette situation qui ne me convient pas, plutôt que d'appeler les autres et le monde à mon secours. 
Il ne s'agit pas d'exclure l'extérieur de la réponse que j'essaie d'apporter, mais de comprendre intimement et primordialement que la recherche doit commencer par soi-même.
L'éducation devrait ainsi nous permettre de prendre pour acquis que toute réponse à une situation donnée doit être construite, et que ce processus de construction commence par et en moi. Par ailleurs, ce processus commence la plupart du temps par la décision de poser la question en nos propres termes - et cette dernière opération est nécessairement une quête personnelle et solitaire.

Je comprends ainsi ce que j'ai appris durant mes études et ma scolarité : on m'a confronté à des problèmes délimités de plus en plus complexes ; et ce que cela m'a apporté n'est pas la technique de résolution des problèmes, mais la compréhension et la conviction que je suis capable de résoudre des problèmes que je rencontre. Ensuite, j'ai été confronté à des problèmes peu ou pas délimités, et il m'a fallu comprendre que cette situation ne doit pas être source d'angoisse, puisque je suis celle qui doit alors présenter sa vision du problème avant de le résoudre. Nous apprenons ainsi à ne pas nous tourner systématiquement vers l'extérieur pour résoudre des situations qui ne nous conviennent pas ou modifier les choses. (Je ne suis pas ici en train d'idéaliser le système scolaire et universitaire dans lequel j'ai évolué, et il y a eu beaucoup de cours où l'objectif semblait purement technique et inintéressant. J'essaie plutôt d'expliquer ce que j'ai retiré de ces années d'études et comment je perçois ce qui est important dans ce processus.)

Parfois, je me dis que le système français aborde les choses sous un angle étrange : pour apprendre aux élèves qu'ils ont les ressources en eux-mêmes, on les gave de "connaissances" et d'outils. Il arrive souvent que les élèves se sentent soit tout-puissants et d'une insupportable suffisance soit faibles, car ils pensent qu'ils ne sont rien sans ce savoir dont l'apprentissage tient souvent de l’ânonnement.

Je me suis concentrée ici sur l'apprentissage intellectuel, mais je pense que mon propos s'applique également tout à fait aux sentiments. Une part de l'éducation consiste à s'apprendre que nous avons les ressources en nous-mêmes pour surmonter des tristesses, paresses, souffrances que les autres sont la plupart du temps impuissants à soulager.

Une dernière remarque sur ce que j'ai retiré de l'éducation que j'ai reçue : l'aspect manuel en était quasi absent, et en tous cas très peu valorisé. Aujourd'hui, confrontée à des questions d'ordre matériel, telles que des réparations ou des reprises, je me sens désemparée et ne comprends pas par quel bout aborder ce problème. Je pense bien que cet aspect-là des choses s'apprend également, et il suffit souvent que je persévère en refusant de me laisser décourager pour trouver une solution. Mais il s'agit d'un effort sur moi-même, et il me faut à chaque fois surmonter le réflexe qui me pousserait à aller demander de l'assistance à d'autres.