Je trouve particulièrement difficile la question "Qu'est-ce que le féminisme ?" Je vais ici tenter d'y apporter une ébauche de réponse, et je suis prête à entendre la remarque sur l'absence de limpidité de ces propos. Sachez en tous cas que j'ai essayé, comme toujours, de formuler ma pensée au plus clair et au plus précis.
Si l'on essaie de définir le féminisme en quelques mots, on bute rapidement sur la multiplicité des discours et actions qui se sont réclamés de ce mouvement. La réponse "être convaincu qu'il est nécessaire d'améliorer la situation des femmes" ne me semble pas satisfaisante, ni même celle consistant à demander ou revendiquer que les femmes soient égales.
En effet, qu'est-ce qu'une meilleure situation ? Jusqu'à quel point l'action sera-t-elle nécessaire ? Et on veut que les femmes soient égales. J'exècre véritablement cette formule, pour son inanité logique et sa pauvreté lexicale, mais qui semble cependant imposer un certain consensus sur la scène publique. Je m'explique. Connaissez-vous la blague du corbeau ?
Q : Quelle est la différence entre un corbeau ?
R : Ses pattes sont toutes pareilles, surtout la gauche.
Et voilà le problème avec l'égalité des femmes. L'égalité se constitue nécessairement avec un autre élément. Le sujet ne peut pas être égal seul.
Cette dernière observation me conduit à remarquer quelque chose que je trouve fondamental et qui est souvent ignoré du discours public : l'égalité entre les genres n'est pas le problème des femmes. Je m'exprime mieux : l'égalité n'est pas le problème exclusif des femmes.
Plusieurs arguments sont en faveur de cette thèse.
1. Tout d'abord, d'un point de vue logique, un groupe ne peut être égal dans l'absolu. Il pourra à la limite être égalitaire, mais cela renverra alors à la situation de ses membres en son sein. Les femmes ne peuvent être égales de manière abstraite.
2. Ensuite, et c'est la conséquence de l'argument précédent, une réflexion sur le genre et la société ne saurait exclure des membres eux aussi genrés de la réflexion, et de l'éventuelle transformation sociale qui s'ensuivra.
3. Il n'est par ailleurs pas souhaitable que les questions de relations entre hommes et femmes deviennent l'apanage exclusif des femmes : encore une source d'inégalité entre hommes et femmes, puisqu'il serait en quelques sortes attendues de ces-dernières qu'elles prennent en charge cet aspect de la vie sociale. Je ne vois pas comment cela fera avancer les choses.
Je pense que ce qui m'a rendue féministe - ou m'a fait réaliser que je l'étais - est la situation répétée où on restreint la vie sociale de l'individu à un prétendu déterminisme biologique, où on confond le statistique et le vécu. Par exemple, oui, statistiquement les hommes ont de meilleures performances en sprint sur 100 mètres que les femmes ; mais cela ne veut pas dire que dans toutes les situations que je rencontrerai, où et un homme et une femme courront un 100 mètres, que le premier sera plus rapide. Cette situation relève du vécu, de l'expérience. En vivant avec les œillères du genre, on se prive de la possibilité de l'expérience et du vécu.
Pour moi, le féminisme est la posture nécessairement critique consistant à analyser les faits sociaux et individuels à l'aune du prisme du genre. Autrement dit, il s'agit de, consciemment, utiliser le genre comme un outil ou critère d'analyse.
Finalement, je ne trouve pas que le mot "féministe" soit le meilleur, étymologiquement. Je comprends son origine historique, dans une société où la propriété était quasi exclusivement accaparée par les hommes, et où les femmes faisaient peut-être plus partie du patrimoine que des propriétaires. J'avais coutume de dire qu'en d'autres temps, j'ose espérer que j'aurais embrassé la cause masculiniste, si c'était les hommes qui avaient été exclus du champ du pouvoir et de la légitimité sociale. Mais en attendant de trouver un autre terme, je pense qu'il est fondamental d'associer le féminisme à l'humanisme, à la critique qui se centre sur l'individu et qui, d'une manière que l'on pourrait qualifier de désespérée, croit en l'humain. Et par croire en l'humain, je veux dire croire en son infini capacité à porter son regard et son esprit critique sur lui ou elle, que ce soit en tant qu'individu ou en tant que société.
Je ne tolère pas que l'on empêche une personne de se réaliser, d'expérimenter, au prétexte de son genre.