lundi 30 mai 2011

Ambition

L'ambition est un sentiment complexe, et celui qui la ressent n'est pas toujours à même de mettre les mots dessus.
Je comprends l'ambition comme cette force intérieure de l'âme qui nous pousse à nous dépasser en permanence. L'ambitieux n'est jamais satisfait, et aura toujours l'impression de pouvoir aller plus loin, d'être capable d'en faire encore plus. Cependant, l'ambition se distingue du perfectionnisme par la demande de reconnaissance extérieure qu'elle réclame. Tandis que le perfectionniste n'est jamais satisfait non plus, et veut toujours atteindre le meilleur dans un travail donné, l'ambitieux ne saurait se limiter à une tâche, et réclame la reconnaissance ou l'admiration des autres. D'ailleurs, l'ambitieux accordera de la valeur et recherchera les compliments des meilleurs, des "gens qui comptent". L'ambitieux, dans la mesure où il cherche à s'élever au-dessus de lui-même et au-dessus des autres, recherche d'autres ambitieux, qui, comprenant sa folie, pourront le reconnaître de manière adéquate. Fondamentalement, l'ambition est un sentiment lié à la vie en société. Elle est une force, une aspiration particulière qui ne peut se réduire à un simple désir. Par exemple, si je désire manger du chocolat, je serai satisfaite en mangeant du chocolat ; je n'aurai pas besoin pour atteindre cette satisfaction qu'autrui reconnaisse que je mange du chocolat. L'ambitieux a, semble-t-il, une relation complexe aux objets de son désir: il ne les désire pas en soi, mais pour soi. Il les désire non en tant que fin en eux-même, mais en tant qu'instruments qui lui permettront de de briller d'une manière ou d'une autre aux yeux de la société.

L'ambition, si elle doit être réalisée, est toutefois indissociable du goût de l'effort. Elle ne reconnaît la réussite que dans la mesure où elle semble méritée, que dans la mesure où elle peut sonner comme une approbation de l'être de l'ambitieux. En effet, il est dans la définition même de l'ambition que de vouloir forcer la nature, que de tout mettre en œuvre pour remettre en cause le donné, ce qui est. L'ambitieux ne peut purement et simplement accepter la place que la société lui concède sans combat, de même qu'il ne peut accepter les limitations de son être.

Par beaucoup d'aspects, l'ambition peut être perçue comme une force négative. Il s'agit de tout mettre en œuvre afin de se différencier, afin de laisser sa trace, et cette quête est infinie. Elle peut consumer celui qui l'entreprend, et blesser l'entourage de celui-ci. En effet, l'ambition conduira souvent l'ambitieux à préférer le projet auquel il se consacre à une quête - plus équilibrée - de bonheur, de paix. Elisabeth Badinter souligne cet aspect de l'ambition en relation à Voltaire et Mme du Châtelet dans le chapitre VII de son livre remarquable, Emilie, Emilie ou l'ambition féminine au XVIII° siècle.
Dans cette veine, je pense qu'il y a communément des situations ou l'ambition est un sentiment qui se substitue à celui d'amour - amour dans le sens de don de soi et d'acceptation de l'autre, d'ouverture à la relation.

Cependant, il me semble que l'ambition, dans la mesure où elle est un désir, porte aussi en elle une puissance vitale, une énergie qui poussera l'ambitieux à se relever, à ne pas s'avouer vaincu face aux aléas parfois contrariants de la vie. Elle ressemble à un moteur qui fait carburer celui qui la ressent, et le pousse à se dépasser.

Je crois qu'il est primordial, toutefois, pour l'ambitieux, de reconnaître ce sentiment qui l'habite. Il ne s'agit pas de le combattre, au contraire, mais d'utiliser cette force vitale pour avancer, pour se relever, pour se dépasser. Il est plutôt question de ne pas en souffrir inutilement, et de comprendre comment il peut s'intégrer à une vie aussi harmonieuse que possible. De comprendre que l'ambition ne peut être la seule force à nous pousser, sous peine de courir d'insatisfaction en frustration, et de rancœur en solitude.

samedi 28 mai 2011

Evenément et Expérience

Evénement et expérience. Comment ces mots jouent-ils entre eux? Comment sont-ils reliés?

L'événement est le fait qu'il se passe quelque chose. L'idée d'événement est donc profondément liée à celle de changement, d'évolution. Nous avions une situation, et il y en a maintenant une autre. L'événement est inscrit dans la temporalité, il y a un avant et un après - voire un pendant. Ainsi, dans l'étude des probabilités, l'événement est l'ensemble des résultats d'une épreuve aléatoire. Avant l'événement, on pouvait en étudier la probabilité. Après l'événement, on la connaît.
Notre vie est remplie d'événements, du fait même que nous sommes en vie. Chaque minute qui passe est remplie d'événements. Un philosophe grec comparait la vie à une rivière qui coule: elle est différente à chaque instant. Le temps habille la vie et l'empêche de ne jamais être semblable à elle-même.

Mais savoir que la vie est remplie d'événements me semble insuffisant à la condition humaine. Peu me chaut que rien ne soit jamais semblable en théorie si pour moi tout se ressemble. Et c'est là que l'idée d'expérience intervient. L'expérience est ce que nous faisons des événements, elle en leur appropriation subjective (au sens de pour le sujet). En quelque sorte, l'expérience est l'événement digéré par le sujet, digéré par sa raison, ses sens, son histoire et son destin. L'expérience est donc ce que je fais de la série continuelle d'événements à laquelle j'assiste, dans laquelle je vis. Si l'événement est inhérent à la vie, l'expérience est intimement liée à l'existence. La vie est faite d'événements, mais l'existence est faite d'expériences. Je ne peux pas être au monde, je ne peux pas vivre en tant que sujet sans expériences.

Irréversibilité

Je me demande ce qu'il y a d'irréversible. Je veux dire quelque chose qui ne soit pas la mort, mais vers quoi on ne peut plus retourner, après quoi rien ne sera plus pareil.
Je pense que c'est beaucoup le rôle du sacré: rendre immuables ou graves des actes ou situations qui ne sont pas la mort - bien sûr le sacré joue dans l'intégration de la mort dans le vivant, mais ce n'est pas ici mon propos. La société humaine prend le relais de la brute nature, et pose des interdits, des tabous, de telle sorte que leur transgression ne sera plus réparable. On a besoin de ces moments graves (au sens de gravitas, pesants), des morts partielles peut-être, pour pouvoir continuer à vivre et accepter notre statut de vivants.

Mais qu'y a-t-il de proprement irréversible? Quels sont ces points de non-retour?
Notre société nous en donne foison, certains sont négligeables ou peu significatifs (par exemple: un diplôme est un titre auquel on ne peut pas renoncer après coup. On ne pourra plus jamais ne pas être diplômé). Mais je voudrais ici réfléchir à un aspect plus métaphysique de cette question. L'âme peut-elle être marquée à jamais, peut-elle devenir radicalement autre à la suite d'un événement, d'une expérience?