Bonjour tristesse, court roman d'une adolescente de la grande bourgeoisie parisienne.
Dans la lignée de Gide, Françoise Sagan explore dans ce livre - le seul d'elle que j'ai lu, pour le moment - comment on peut cueillir l'existence à travers l'exaltation des sens et l'expérience. Ou plutôt : "les expériences". Ce roman peut en effet être décrit comme portant sur ces deux thèmes.
L'exaltation des sens
Cécile, le personnage principal de ce roman, narré à la première personne, est une jeune fille, de dix-sept ou dix-huit ans, qui n'aspire qu'à une vie sensible. Elle nage, dort, dore au soleil, marche, embrasse, fait l'amour. Elle boit et mange, fait du bateau, a chaud.
Ses sens lui sont tellement importants qu'elle en vient à devenir hostile à celle qui lui a interdit de simplement suivre ses instincts.
Quelque part, cette héroïne est une cousine du Bardamu de Voyage au bout de la nuit : elle agit quasiment exclusivement selon ce qu'elle ressent. Cependant, elle n'est pas sa soeur, car, contrairement à lui, toute considération morale ne lui est pas étrangère, toute velléité de s'améliorer ne lui est pas inconnue. Ces considérations sont simplement, sans grand tourment et systématiquement, balayées au profit de ses envies immédiates, de la mise en oeuvre de ses représentations fantasmées.
Au contraire des héros romantiques, tourmentés par leur âme et leur humanité, Cécile accepte sans peine et sans honte son côté animal. Elle aime, n'aime pas, veut, ne veut pas. Il semble n'y avoir aucun intermédiaire entre ses sensations et leur expression.
L'expérience et les expériences
Le comportement de Cécile, face à toute situation, est d'agir et d'exprimer uniquement ce qui lui semble joli, ce qui lui plaît, à court terme, sans voir plus loin que le bout de son nez. Elle n'est pas vraiment idiote - c'est-à-dire qu'elle n'ignore pas complètement les conséquences pour autrui de ses actes. Toutefois, elle s'en moque profondément.
Face à un deuil, elle pleure sur elle.
C'est un roman d'expérience, au singulier, dans le sens où il se présente un peu comme un court récit d'apprentissage. Au début du roman, Cécile est une jeune fille frivole, mais frivole car elle n'a jamais entraperçu ce qu'auraient pu être ses jours sans la frivolité. En quelque sorte, sa légèreté est involontaire, inconnue, non reconnue. Comme elle le dit : " C'est ainsi que je déclenchai la comédie. Malgré moi, par nonchalance et curiosité."
Tout est là : les choses se meuvent autour d'elle, car elle s'essaie, pour se distraire, à les mettre en mouvement.
A la fin du roman, elle continue sur le même train, mais ce après avoir - brièvement, certes - entrevu que l'on peut vivre autrement, et qu'il peut y avoir une certaine saveur, une certaine grandeur, dans un autre style de vie. Cependant, la question d'un changement profond, volontaire, ne se pose jamais.
Elle continuera de la même façon, entourée de gens qu'elle n'estime pas particulièrement, mais qui l'amuse.
Elle continuera de la même façon, mais avec un poids qu'elle gardera au fond d'elle. Un poids qui semble pourtant léger. Un souvenir, un sentiment, que sa vie désormais, aurait pu, chaque jour, être autre - mais qu'elle ne l'a pas été.
Ce livre peut également se lire comme un témoin du retournement individualiste de la modernité. Il faut jouir, et c'est tout. Hors la jouissance, pourquoi pas la torpeur.
Cette adolescente de la grande bourgeoisie parisienne ne connaît aucune considération sociale ou de classe. Plus largement, je veux indiquer qu'elle ne se préoccupe absolument pas de sa situation par rapport à celle des autres ; elle n'imagine pas non plus que sa situation eût pu être autre que ce qu'elle est.
Finalement, ce qui fait le charme de ce récit, c'est sans doute autant son style enlevé et prenant que son manifeste pour le désir de vivre. Après avoir ouvert la première page, je n'ai plus désiré que de le lire en entier.