A une époque, en Europe, faire des études signifiait étudier la théologie. L'universitaire, le penseur, voire le scientifique, devait avoir un tant soit peu étudié ce domaine. Celui qui n'était pas au fait des grandes controverses théologiques ne pouvaient prétendre être savant.
Aujourd'hui, j'ai envie de faire un parallèle, qui, s'il a certainement des limites, peut permettre de mettre en lumière certains aspects de notre société.
L'économie est la théologie moderne.
Partout, pour que des études soient valorisées, il faut y inclure au moins un peu d'économie. Qu'il s'agisse des préparations à la haute fonction publique, des écoles d'ingénieurs qui préparent leurs étudiants à devenir des managers, ou encore des écoles de commerce, l'économie doit y être enseignée, ne serait-ce que dans ses rudiments. Il en va de même pour le droit, où les parcours droit/éco sont légion, et où, dès qu'une formation se veut reconnue, y est institué un cours d'économie.
Par ailleurs, je remarque que, non content que l'économie soit devenue un savoir de base dans notre société, encore y enseigne-t-on avec beaucoup d'application son histoire. L'histoire de la pensée économique est une matière importante, avec ses personnages connus, répétés et représentés ad nauseam : Smith, Bentham, Keynes, Hayek et Friedman.
Enfin, l'argument économique semble toujours valoir comme réaliste. Si l'économie le dit, alors on doit le faire. Une proposition qui n'est pas économiquement réaliste se voit discréditée dans l'opinion publique.
Alors que l'Europe médiévale ne pouvait concevoir une construction intellectuelle sans faire le détour par le divin, aujourd'hui, il semble que toute proposition, toute réflexion, ne trouve sa validation qu'à l'aune de sa pertinence économique.
Pourtant, je pense qu'il y a un problème en ce qui concerne cet état des choses. L'économie serait "la vraie vie". Mais, comme toute science, toute domaine d'étude, l'économie ne fait que proposer une explication, une interprétation de phénomènes que nous percevons. L'économie s'attache à expliquer et à comprendre le monde moderne dans une perspective productiviste de satisfaction des besoins.
Nous nous enferrons dans des tentatives consistant à élargir le champ de l'économie, afin qu'il puisse véritablement prendre en compte tous les aspects de la vie : l'économie durable ou soutenable, l'économie solidaire, l'économie environnementale ou encore l'économie managériale n'en sont que des exemples. Ces extensions du raisonnement économique consistent à intégrer des données souvent ignorées de l'économie classique dans le calcul rationnel que celle-ci propose comme outil d'analyse de situations ou de problèmes. Ainsi, le bien-être au travail ou la préservation de l'environnement, traditionnellement ignorés de l'économie classique, seront soupesés comme des facteurs calculables, comme des variables dont l'on approfondira la connaissance. De cette façon, l'économie comme méthode de choix pourra continuer à être utilisée, prenant en compte des impératifs sociaux nouvellement formulés.
Au lieu d'admettre que l'économique n'est pas toujours l'aspect dominant d'une situation, voire qu'il n'est pas systématiquement pertinent dans l'analyse d'un objet, nous tentons de rendre l'économique plus sympathique, plus apte à prendre en compte des aspects divers. A une époque, la théologie a été tellement pensée part de toute chose - et, inversement, toute chose perçue comme relevant de la théologie - que celle-ci a été distendue jusqu'à perdre une partie de son sens, et, et c'est peut-être plus préoccupant, de sa force de critique et d'analyse.
L'économie est, je ne le conteste pas, un outil de décision, dans la mesure où il permet une analyse fondée sur certains critères des situations et des options. La théologie est un outil d'analyse du système de valeurs, qui connût une certaine force de transformation sociale, de par la critique qu'elle permettait. Mais, à rendre tout économique, nous perdons tant la puissance d'analyse de l'outil que la possibilité d'utiliser des techniques nées d'autres outils.
D'outil d'appréhension des phénomènes, l'économie est devenue un phénomène qui doit être appréhendé grâce à des approches qui lui sont étrangères.
L'une des directions que ne serait pas la moins féconde est sans doute celle consistant à s'interroger sur le consensus en tant que fait, que vérité, dont est l'objet ce système de compréhension du monde.
D'outil d'appréhension des phénomènes, l'économie est devenue un phénomène qui doit être appréhendé grâce à des approches qui lui sont étrangères.
L'une des directions que ne serait pas la moins féconde est sans doute celle consistant à s'interroger sur le consensus en tant que fait, que vérité, dont est l'objet ce système de compréhension du monde.